Qui aurait dit qu’un jour le dictateur le plus méprisé de la planète – pourtant, la concurrence est vive – serait considéré par le président de la première puissance mondiale comme un interlocuteur à caresser dans le sens de la brosse chevelue ? Comme un chef d’Etat si important que le dit président doit se déplacer à ses portes pour parler avec lui, d’homme à homme ?A Singapour, Kim Jong-un apparaît comme le grand vainqueur du bras de fer que le tyran nord-coréen avait initié contre Donald Trump dès l’élection de ce dernier. Promenade en duo, secouage de raquettes présidentielles, pose en commun devant la postérité, c’est tout juste si Trump et Kim ne se sont pas précipités dans un french kissfougueux, tels jadis les camarades Brejnev-Honecker. Kim Jong-un a donc réalisé l’inaccessible rêve de son grand-père et de son père : que la bolcho-dynastie soit reconnue comme partenaire à part entière par Washington.
Et pour obtenir ce résultat, la Brosse Infernale n’a pas eu besoin de signer un acte de contrition. La déclaration d’intention paraphée par Trump et Kim n’engage à rien et relève, même écrite, de la parole verbale. La voici :
- Les Etats-Unis et la République populaire démocratique de Corée s’engagent à établir de nouvelles relations E.-U. – RPDC, conformément à la volonté de paix et de prospérité des peuples des deux pays.
- Les Etats-Unis et la RPDC associeront leurs efforts pour bâtir un régime de paix durable et stable dans la péninsule coréenne.
- Réaffirmant la déclaration de Panmunjom du 27 avril 2018, la RPDC s’engage à travailler à une complète dénucléarisation de la péninsule coréenne.
- Les Etats-Unis et la RPDC s’engagent à restituer les restes des prisonniers de guerre et des portés disparus au combat, avec un rapatriement immédiat de ceux déjà identifiés.
Aucun calendrier, aucune contrainte. Trump adopte vis-à-vis du nucléaire Coréen l’attitude inverse que celle qu’il a opposée à l’endroit du nucléaire iranien. Et voilà le pire des régimes, celui des Kim, blanchi gratuitement par la Maison de même couleur.
Quel contraste avec le sort réservé par Donald aux chefs d’Etat du G7 : Emmanuel Macron, Justin Trudeau, Angela Merkel traités comme des valets de ranch, tout juste bons à recevoir des volées de coups de pieds aux fesses entre deux bordées d’injures !
A cet égard, le président français ferait bien de prendre leçon sur le sanguinaire hérisson replet qui règne sur Pyongyang. Lorsque Trump a poussé sa trogne sur le devant de la scène internationale, Emmanuel Macron a cru bon lui réserver un accueil triomphal. Puis, en avril dernier, juste avant que les Etats-Unis se retirent de l’accord nucléaire avec l’Iran, Jupiter avait désamorcé sa foudre pour se faire tout miel et oindre de flatteries, de protestations d’amitiés et autres onguents onctueux l’ours à la tignasse jaune.
Dans l’esprit de Macron – si tant est que l’on puisse s’y glisser – ces jolies manières devaient inciter Trump à ne pas oublier qu’il avait ses fidèles alliés en Europe et qu’il serait du meilleur goût de les ménager ; qu’il se retire progressivement de l’accord iranien mais sans que cela nuise à l’Europe.
Ces sucreries diplomatiques ont donc fait sur le président américain l’effet inverse. Il les a considérées comme autant de marques de faiblesse, provoquant chez lui une réaction de mépris vis-à-vis de ce frenchie aux manières chantournées de petit marquis parfumé. Rien de tel que les rudes bourrades entre vrais mecs dans les vapeurs du fumier.
Lorsqu’un porteur de bottes texanes rencontre un chausseur d’escarpins, on sait vite lequel des deux va boiter.
Kim Jong-un a pris le parti opposé. Provocation sur provocation. Et que je te menace d’envoyer des missiles nucléaires sur l’ile américaine de Guam. Et que je te traite Trump de « gâteux mentalement dérangé » (à Pyongyang, on ne craint pas le pléonasme), de « vieux fou », de « gangster », de « fripouille ». Tout heureux de trouver enfin un gus à sa mesure, Trump s’est mis en duo avec la Brosse Infernale : « Rocket man », « petit gros affameur de son peuple », « attend voir que je te balance ma big bombe pour t’éclater ». La température ayant grimpé juste là où il fallait, les duettistes ont pu changer d’octave : « Maintenant qu’on s’est bien engueulés, causons ».
Trump et Kim ne connaissent qu’une chose, le rapport de force dans toute sa brutalité. Ils sont donc faits pour s’entendre. La Brosse Infernale a bien jaugé son adversaire-partenaire. Il n’aime pas les petits Mickey tout faibles, Donald. Il apprécie qu’on lui résiste, ça le met en valeur, bien plus que de faire des ronds de jambes devant les costumes Smuggler ou, pis, les tailleurs Chanel. Et même, ça le rassure ; il se trouve en terrain plus adapté à sa démesure. Après tout, le monde impitoyable des dealers immobiliers est-il si différent de celui des propriétaires de la Corée du Nord, mis à part les exécutions de ministre au tir de missile ?
Emmanuel Macron est un tueur aux yeux bleus, mais à l’échelle de la politique française seulement. Pour s’imposer dans les rapports de force mondiaux, la ruse et les coups de billard à trois bandes ne suffisent pas. Il faut encore faire l’apprentissage de la brutalité. Monsieur Macron, il faudra chausser vos bottes texanes. Point besoin de les cirer.
Jean-Noël Cuénod