Le port des signes religieux pour les élus n’était pas l’unique objet de l’arrêt de la Chambre constitutionnelle genevoise (lire le précédent blogue[1]). Deux autres points ont été examinés par les magistrats ; ils confirment la Loi sur la Laïcité de l’Etat tout en la précisant. Il s’agit des manifestations religieuses en place publique et restrictions du port de signes religieux ostentatoires.
Les institutions religieuses peuvent-elles organiser leurs offices sur le domaine public à Genève ? La Loi genevoise sur la laïcité de l’Etat (LLE) pose comme principe de base en son article 6 alinéa 1 que les manifestations religieuses cultuelles se déroulent sur le domaine privé. Néanmoins, la LLE laisse la porte entrouverte à l’alinéa 2 : A titre exceptionnel, les manifestations religieuses cultuelles peuvent être autorisées sur le domaine public. Dans ces cas-là, les dispositions de la Loi sur les manifestations sur le domaine public du 26 juin 2008 s’appliquent.
Les recourants (lire le précédent blogue) estimaient que cette disposition restreignait trop la libre expression des religions. Sur ce point, la Chambre constitutionnelle de la Cour de Justice genevoise confirme cet élément de la loi qui doit être interprété à la lumière des Constitutions cantonale et fédérale (le droit supérieur) :
S’agissant de l’art. 6 al. 1 et 2 LLE, il est possible de lui donner une interprétation conforme au droit supérieur, dans le sens où, lorsque les manifestations cultuelles ne peuvent pas, pour une raison ou une autre, se dérouler sur le domaine privé, elles doivent pouvoir se dérouler sur le domaine public aux mêmes conditions que les manifestations religieuses non cultuelles, étant précisé qu’il n’existe pas de droit inconditionnel à un usage accru du domaine public et que l’abus de droit est réservé.
Donc, les manifestations cultuelles restent du domaine privé. Si elles ne le peuvent pas, il est possible de les autoriser sur le domaine public dans les conditions habituelles réglées par la loi et qui s’appliquent à toutes manifestations. Les juges constitutionnels rappellent même « qu’il n’existe pas de droit inconditionnel à un usage accru du domaine public ».
En cas de « danger direct et imminent »
L’article 7 alinéa 1 est la dernière disposition visée par les recourants. Sur ce point également, ils ont été déboutés. Il s’agit en l’occurrence d’interdire le port de signes religieux, à titre temporaire et en cas d’atteintes graves à l’ordre public. Cet alinéa est ainsi libellé :
Afin de prévenir des troubles graves à l’ordre public, le Conseil d’Etat peut restreindre ou interdire, sur le domaine public, dans les bâtiments publics, y compris les bâtiments scolaires et universitaires, pour une période limitée, le port de signes religieux ostentatoires. En cas de recours, le tribunal compétent statue dans un délai de 15 jours.
Les juges constitutionnels confirment cette mesure mais ils en précisent la portée et lui dressent d’opportuns garde-fous :
Il en va de même de l’art. 7 al. 1 LLE : étant donné le vaste champ d’application de cette disposition, qui concerne le domaine public et les bâtiments publics de manière générale, sa mise en œuvre ne devra en effet se faire que de manière très restrictive, afin de prévenir strictement des troubles graves à l’ordre et à la sécurité publics en raison d’un danger qui les menace de manière directe et imminente. Un contrôle judiciaire à brève échéance pourra également être opéré, à teneur de cette même disposition. (Le texte entier du communiqué de la Chambre constitutionnelle disponible ici :http://ge.ch/justice/la-chambre-constitutionnelle-admet-partiellement-six-recours-et-annule-l-art-3-al-4-lle)
Dans le contexte du droit suisse, « restreindre ou interdire » le port de signes religieux ostentatoires dans des écoles, universités ou bâtiments publics, voire sur le domaine public en général est une atteinte à la liberté personnelle qui n’est concevable qu’en cas de périls. C’est ce que dit déjà l’alinéa 1 mais les juges constitutionnels ont sorti leur surligneur pour bien spécifier ce qui ne l’était pas suffisamment à leurs yeux. L’application de cet alinéa 1 est soumis à deux conditions majeures :
- l’existence de « troubles graves à l’ordre et à la sécurité publics » et d’un danger direct et imminent ;
- cette mesure, limitée dans le temps, ne sera appliquée que de façon « très restrictive».
Le caractère exceptionnel qui figurait déjà dans la loi – notamment avec un délai fixé à 15 jours pour rendre une décision sur recours – est ainsi renforcé.
La Loi sur la laïcité de l’Etat se voit ainsi confortée car mieux précisée. Il est possible, sinon probable, que cet arrêt sera attaqué au Tribunal Fédéral. En ce cas, il sera intéressant de connaître l’avis des Hauts Juges. Cela dit, selon les récentes jurisprudence, la tendance semble moins favorable qu’il y a quelques années à donner gain de cause aux recourants issus des milieux religieux.
Jean-Noël Cuénod
Ancien président du Groupe de travail sur la laïcité
[1] http://jncuenod.com/wp-admin/post.php?post=3157&action=edit
Un sacré charabia tout ce blablabla ! Encore une fois le législateur se tire une balle dans le pied. Vous ne pouvez pas autoriser le port de signe ostentatoire d’une religion ou autoriser des manifestations sur le domaine publique sans heurter les détenteurs d’autres croyances et des non-croyants. Rappelons que la majorité de la population n’est pas religieuse. Quel qu’elle soit, une religion si bruyante soit-elle ne représente qu’une minorité. La liberté de religion n’exprime pas le droit au prosélytisme ni au non respect des lois. Tout lieu de culte devrait être publique et l’enseignement donné en l’une des quatre langues nationales. Liberté de religion s’étend à la liberté de ne pas adhérer. Aucune contrainte ne peut être imposée à qui que ce soit, pour quelque motif que ce soit.