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La France , l’Europe, le monde ont mal à la gauche. Elle multiplie les défaites un peu partout. Les restrictions gonflent, les portemonnaies se dégonflent. Et pourtant, la gauche a décroché, hier, une victoire en un lieu où sans doute peu de Français l’auraient prévue, la Suisse. Et sur un objet qui ont fait enrager le président Macron et ses compatriotes, les retraites.

Portée par le Parti socialiste, toute la gauche sociale et politique – surtout la puissante Union Syndicale Suisse et son très efficace patron Pierre-Yves Maillard –l’initiative populaire créant un treizième mois pour les retraités a été acceptée par 58,2% des électeurs suisses et par 15 cantons sur 26 (1). Une large victoire donc.

Cela signifie-t-il qu’il y a en Suisse 58,2% de socialistes? Certes pas, même si le PS est la deuxième formation la plus importante du pays après le parti national-conservateur UDC.

Les retraités, premières victimes

En fait, les querelles idéologiques ne passionnent guère la gent helvétique, à l’exception peut-être de Genève, canton qui, dit-on, n’est déjà plus la France mais pas encore la Suisse!

Les électeurs se montrent nettement plus attentifs à l’état de leur portemonnaie. Or, celui-ci, même en Suisse, est déprimé par l’inflation.

Ce phénomène touche en premier lieu les personnes âgées. Dans l’un des pays les plus riches de la planète, 15,4% des retraités vivent en-dessous du seuil de pauvreté qui est fixé à 2289 francs (2384 euros) par mois pour une personne seule, alors que pour l’ensemble de la population ce taux se limite à 8,7% (chiffres de l’Office fédéral de la Statistique).

Rejet massif de la retraite à 66 ans

Pour le coût de la vie en Suisse, les rentes des retraités ne suffisent donc pas toujours pour mener une vie décente. D’où l’acceptation importante du 13ème mois pour les retraités (pour comprendre le système suisse des retraits, consulter ce site). Mais aussi le rejet encore plus massif – 74,72% du corps électoral et par tous les cantons – d’une autre initiative qui, elle, venait de la droite et préconisait de porter l’âge du départ à la retraite de 65 à 66 ans.

Comme tous les pays industrialisés, la Confédération doit réformer son système de retraite. Il le fait à la Suisse, c’est-à-dire par étapes et par votations populaires.

Ainsi, il y a deux ans, les citoyens avaient accepté, contre l’avis de la gauche, de porter l’âge du départ à la retraite pour les femmes de 64 ans à 65 ans, à l’instar des hommes.

Un signe qui dépasse les frontières suisses

Aujourd’hui, c’est la gauche qui l’emporte. Que s’est-il passé entre les deux votations: en premier lieu, l’inflation qui était de 1,3% en janvier dernier. Mais pas seulement.

Le vent de droite – autoritaire politiquement et libéral économiquement – qui souffle actuellement un peu partout commence peut-être à susciter l’opposition de celles et ceux qui en sont les premières victimes.

Ce succès très net des socialistes et des syndicats (étroitement liés en Suisse) démontre que les défaites de la gauche ne doivent rien à la fatalité. Lorsqu’elle reste conforme à sa mission de base, à savoir la défense des travailleurs, et qu’elle avance unie face à l’adversité, la gauche peut gagner face à une droite de plus en plus agressive.

Dès lors, le vote suisse est peut-être aussi une forme de protestation qui dépasse largement les frontières suisses.

Jean-Noël Cuénod

¹ Comme il s’agit d’une modification de la Constitution fédérale, les initiants doivent réunir non seulement la majorité des votants mais aussi la majorité des cantons.