L’Ange du Bizarre, c’est le thème choisi par les animateurs de la galerie parisienne ART-Aujourd’hui[1] – Marianne et Philippe Rillon, Daniel Chassagne – pour qualifier l’exposition qu’ils organisent actuellement jusqu’au 27 février.
Un ange ? Plutôt 7 anges du bizarre : les peintres et dessinateurs Georges Bru, Jean-Marie Cartereau, Evelyne Gerbaud, Bernard Le Nen, Denis Pouppeville, Victor Soren et la sculptrice Pascale Proffit. 7, nombre symbole de l’unicité fondamentale entre la terre et le ciel, la matière et l’esprit que des générations de clercs ont voulu séparer. Œuvre proprement diabolique puisqu’en grec diabolein renvoie à la notion de division.
Par bonheur, les artistes et les poètes ont recollé les morceaux de la vie en rétablissant l’unité première, en effaçant d’une touche de pinceau, d’un coup de burin ou d’un trait de plume (arrachée à l’aile d’un ange qui passait par-là) l’illusoire frontière entre l’âme et le corps.
Le mot « bizarre » ne l’est pas moins, bizarre. Né du vieil italien bizzaro qui signifie « coléreux », devenu ensuite synonyme d’ « extravagant », de « brave » aussi, après un détour par l’Espagne, il partage une origine commune avec l’adjectif « bigarré ». Terme étrange (Vous avez dit étrange ? Comme c’est bizarre !), passant du rouge de colère aux couleurs multiples.
Associé à l’Ange, le Bizarre a pris une allure majuscule. Il bat des ailes entre les pages de la nouvelle d’Edgar Poe traduite par Baudelaire. Il turlupine Cocteau qui entamera contre lui un combat de velours. Et le voilà transformé en flic-poète par Charles Trénet dans son « Jardin extraordinaire ».
Qui veut faire l’ange, fait la bête. Qui veut faire l’Ange du Bizarre, fait la bête du fantasme. Comme ce cauchemar d’enfance qui revient hanter l’adulte pour lui rappeler ses terreurs initiales. Que reste-t-il de nos fantasmes, que reste-t-il aussi de nos leçons de morale lorsque la lumière s’est éteinte ? (ci-dessus, Aimez-vous les uns les autres. Victor Soren)
L’Ange du Bizarre est aussi le gardien des portes. L’une d’entre elle ouvre sur le monde des chamans qui tirent des souterrains les forces nécessaires pour s’attirer les bonnes grâces du soleil. Regardez ce Grand Mystificateur (ci-contre) de Bernard Le Nen qui fait danser les morts sous son arbre-cerveau et tire d’un œuf un petit serpent qui ne demande qu’à grandir. Dieu lui-même serait mystifié par ces sortilèges qui donnent aux hommes l’illusion qu’ils peuvent obtenir les clés du ciel sans peine, ni labeur, simplement en se confiant à quelques grands prêtres.
Avec sa série Ailes, Ether et Limbes (ci-dessous), Jean-Marie Cartereau s’inscrit naturellement et surnaturellement dans le thème choisi. L’Ange est tout à la fois homme, animal, végétal, minéral. Il s’élève mais la tête tournée vers le bas. Ses ailes se fondent dans toutes les nuances du gris, la couleur des humains, ces enténébrés lumineux.
Le gris, c’est aussi le domaine d’Evelyne Gerbaud. Dans ce Silence (ci-contre), le personnage sans bouche tient de la femme et du mustélidé. Son regard de charbon regarde bien au-delà des mots. Dans cet espace-temps, on n’articule pas des mots, on échange des ondes.
Humains et animaux se rencontrent aussi dans le même corps chez Denis Pouppeville (ci-dessous, Jeune femme et homme à roulette). Mais là, plus question de silence, c’est la truculence et le sarcasme qui balaient l’esprit de sérieux et ses poussières. Point de bizarre éthéré, ici. Mais du bizarre ravageur.
Changement radical de monde avec Georges Bru (ci-dessous, Personnage et son double). Les contours de ses personnages sont – bizarrement – à la fois estompés et précis comme certains souvenirs enfouis qui, en ressurgissant sans crier gare, font revivre des scènes précises dans un contexte resté flou.
Une cohorte d’anges du bizarre en trois dimensions (au moins !) sortent des mains fertiles de Pascale Proffit (ci-contre Le petit carré de ciel bleu). La sculptrice a l’étrangeté très joyeuse. Rêverie et rire ne manquent pas d’R ni d’air. L’imaginaire et l’humour prennent à contrepied ce monde prosaïque du Prozac qui veut éteindre les douleurs à coups de mensonges et de pilules.
Ce monde-là, les Anges du Bizarre n’ont pas fini de le hanter pour le subvertir.
Jean-Noël Cuénod
[1] Galerie ART-Aujourd’hui, 8 rue Alfred-Stevens, Paris IXe, Métro Pigalle www.galerie-art-aujourdhui.com
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