Kamala Harris a-t-elle eu raison de traiter Trump de fasciste?

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Kamala Harris, une petite semaine pour ajuster le tir ©Wikimedia Commons

Fasciste Trump? Il coche presque toutes les cases de la définition du fascisme établie par le grand penseur italien Umberto Eco. Cela dit, la candidate démocrate Kamala Harris a-t-elle eu raison de traiter comme tel son adversaire républicain à la présidence des Etats-Unis? On peut en douter. Le fascisme est de nouveau sexy aux yeux d’un nombre croissant d’individus. Fasciste Trump? So what?

Le mot fascisme a tellement été malaxé par les mains les plus inexpertes – je mets les miennes dans le lot! – qu’on en vient à le perdre de vue. Pour le remettre en mémoire vive, il n’est meilleur guide que l’essai d’Umberto Eco Reconnaître le Fascisme (Grasset). L’inoubliable auteur du « Nom de la Rose » a dressé la liste des caractéristiques du fascisme originel qu’il nomme « ur-fascisme »:

– culte de la tradition;
– refus de l’esprit critique;
– l’action pour l’action; rejet de la réflexion;
– racisme;
– propagande vers les classes moyennes en guidant leur colère vers les groupes sociaux plus défavorisés;
– nationalisme et utilisation de la peur de tout ce qui est autre;
– la vie présentée comme une guerre permanente;
– le machisme;
– l’utilisation de la Novlangue.

Le souvenir du Capitole

Donald Trump correspond fort bien à chacun de ses points. La liste d’Eco en ajoute deux autres. Le premier, « le refus du modernisme », ne semble pas convenir à Moumoute Jaune, climatonégationniste et partisan de l’hybris industriel.

Le second est plus discutable. Umberto Eco précise que l’ur-fascisme préconise la suppression du parlement. Certes, à ma connaissance, Trump n’a jamais préconisé l’abolition du Congrès. Cela dit, son refus d’accepter sa défaite contre Biden et l’attaque du Capitole par ses plus fanatiques partisans démontrent le mépris d’acier que porte le boute-feu républicain à la démocratie.

En examinant froidement la liste d’Eco, on se dit que Kamala Harris est fondée à définir son adversaire comme un fasciste.

La séduction de l’extrême-droite chez les jeunes

Toutefois, en terme d’efficacité électorale un tel qualificatif risque fort d’être contre-productif. En effet, le mot « fascisme » a perdu son caractère de repoussoir absolu; l’écoulement du temps depuis ses ravages des années 1930 et 1940 l’a étiolé.

Pire: il est devenu attirant pour nombre d’électeurs notamment chez les jeunes, aux Etats-Unis et en Europe. En France, selon un sondage OpinionWay de février de cette année, 45% des jeunes de la tranche d’âge 18-24 ans se disent séduits par l’extrême-droite. Dans un monde où le politique n’a plus prise sur les grands ensembles hors-démocratie comme les multinationales du capitalisme numérique, la tentation est grande de choisir l’idéologie qui ménage la place principale à la force en désignant comme responsables de la frustration sociale des boucs-émissaires aisément reconnaissables comme les émigrés.

L’emballage brun change, pas le contenu

La forme que prend aujourd’hui le fascisme, c’est le national-populisme qui utilise les institutions démocratiques pour tenter de les vider de leur substance tel Orban en Hongrie. L’emballage diffère de celui, de couleur brune, en vogue au XXe siècle. Mais le fond ur-fasciste, selon le terme inventé par Umberto Eco, présente la même consistance.

Traiter aujourd’hui un adversaire de « fasciste » risque fort de le nimber d’une aura de séduction sulfureuse propre à conforter sa stature.

Au lieu de se lancer dans ce genre de diatribe, Kamala Harris aurait dû se montrer plus offensive sur le plan économique – le bilan de Biden n’est pas mauvais sur ce chapitre – en s’attaquant à l’inflation qui reste la préoccupation majeure des électeurs. Ce faisant, elle laisse ce terrain essentiel à la force de frappe des mensonges trumpiens.

Il lui reste une petite semaine pour changer son arsenal. C’est bien peu.

Jean-Noël Cuénod

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