En ces temps de Roland-Garros, le président Macron est donc monté au filet pour défendre la laïcité. Mais sa raquette paraît bien trouée. On attendait ce grand discours sur la laïcité tant annoncé, tant promis. Nous avons reçu une allocution uniquement axée sur l’islam, comme si la laïcité se bornait à organiser la société avec une seule confession.
C’est donc le trou le plus béant de la raquette macronienne. Car le président ne dit mot d’une autre forme d’intégrisme, celle cultivée par certaines sectes dites « évangéliques » particulièrement mal nommées en l’occurrence. Or, l’intégrisme n’épargne pas le christianisme et prend aussi racine dans l’humus des cités réputées « difficiles ». Certes, ces intégristes « évangéliques » ou « catholiques » ne se sont pas livrés à des actes terroristes, du moins en France. Mais eux aussi prêchent l’intolérance et le rejet de l’égalité femme-homme. Aux Etats-Unis, la porosité entre chrétiens intégristes et suprémacistes blancs a de quoi inquiéter. La laïcité doit aussi s’imposer à cette mouvance rétrograde. Emmanuel Macron aurait dû le rappeler clairement.
Ce discours n’est pas une boussole laïque
Dès lors, il faut prendre l’intervention présidentielle pour ce qu’elle est. Non pas comme la boussole laïque pour naviguer dans les eaux tourmentées du XXIe siècle, mais en tant que stratégie face à l’islamisme radical, source de terrorisme, d’intolérance, de sexisme et, pour reprendre l’expression élyséenne, de séparatisme antirépublicain (lire l’intégralité du discours présidentiel ici).
Emmanuel Macron dresse un constat lucide mais bien tardif[1] : Nous avons nous-mêmes construit notre propre séparatisme (…) Nous avons concentré les difficultés éducatives et économiques dans certains quartiers de la République (…) Nous avons créé ainsi des quartiers où la promesse de la République n’a plus été tenue et donc des quartiers (…) où ces formes les plus radicales (…) apportaient et apportent encore, soyons lucides, des solutions pour éduquer les enfants, apprendre la langue d’origine, s’occuper des personnes âgées, fournir des services, permettre de faire du sport .
Islamisme et économie illégale
Autre trou dans la raquette présidentielle : le rôle essentiel de l’économie illégale dans ces quartiers. Lorsqu’un petit trafiquant gagne plus que le prof qui est censé l’éduquer, promouvoir le mérite républicain relève de la farce. Souvent, les islamistes radicaux puisent dans ce vivier pour garnir leur rang, soit en offrant aux drogués et aux trafiquants le stupéfiant salafiste en manière de drogue de substitution, soit en recourant à leurs réseaux délinquants pour se fournir en arme et en fonds. Combattre l’islamisme radical passe aussi par l’éradication de l’économie souterraine.
Toutefois, gros bémol, cette éradication suppose une politique à long terme qui passe par la légalisation de la drogue pour assécher le marché des stupéfiants. Or, contrairement à d’autres pays, ni les autorités ni même la société sont prêtes en France à prendre de telles mesures.
La balle passe carrément à travers la raquette, lorsqu’Emmanuel Macron affirme : Le quatrième axe de la stratégie que nous entendons conduire, de ce réveil républicain, il consiste à bâtir enfin un islam en France qui puisse être un islam des Lumières. Certes, peu après le président tempère ce « Nous » de majesté en englobant le Conseil français du culte musulman pour « essayer ensemble de construire un islam des Lumières dans notre pays ».
Et pourquoi l’Etat français, théoriquement laïque, ne tenterait-il pas d’ériger un « bouddhisme des Lumières » ? Un « hindouisme des Lumières » ? Un « animisme des Lumières », voire d’effectuer un retour au « christianisme des Lumières ». Pourquoi se chargerait-il d’ « illuminer » une seule confession ?
L’islam des Lumières risque d’être vite éteint
L’absurdité de cette démarche apparaît à plusieurs niveaux. Elle est totalement contraire à l’esprit et à la lettre de la Loi de séparation des confessions et de l’Etat. Si les institutions confessionnelles ne doivent pas s’occuper des choses de l’Etat, c’est aussi vrai réciproquement. Ensuite, en tant que « maître d’œuvre » de la réfection de l’islam en France, l’Etat n’aurait pas la moindre légitimité vis-à-vis des musulmans. Son « islam » des Lumières connaîtrait le même sort funeste que celui de l’Eglise catholique nationale de la République et canton de Genève.
Au XIXe siècle, le Parti radical, alors aux commandes de Genève, avait caressé l’espoir de créer un « catholicisme démocratique et républicain » par le truchement de l’Eglise catholique nationale qui fut nantie des mêmes structures électives que l’Eglise nationale protestante. Bien entendu, le Vatican n’a pas reconnu l’Eglise catholique officielle et celle-ci n’a jamais convaincu les catholiques, alors Genevois de fraîche date. En 1907, par une votation populaire, Genève a compris que, somme toute, il valait mieux séparer les confessions plutôt que de tenter de les gouverner !
En outre, le président Macron veut en finir avec « l’islam consulaire » qui donne, en fait, les clefs des mosquées à des Etats musulmans, surtout la Turquie, l’Algérie et le Maroc. L’intention semble louable mais le résultat risque fort d’être limité. Actuellement, les imams et les psalmodieurs qui officient en France sont formés dans l’un de ces trois pays. Dans un délai de quatre ans, Emmanuel Macron annonce que la France formera elle-même ses imams et ses psalmodieurs. Pour le président, c’est un passage obligé vers cet « islam des Lumières », sujet de ses prières les plus ferventes.
Les Luther ne naissent pas par décrets
Or, ce n’est pas avec des imams estampillés « qualité France » que l’islam sera réformé. Dans l’islam sunnite, très largement majoritaire dans l’Hexagone, l’imam n’est qu’un conducteur de la prière, un prédicateur mais, en tant que tel, il n’est pas considéré comme un docteur de la loi. Or, ce n’est que sous l’impulsion de théologiens musulmans reconnus et légitimes que peut naître une nouvelle lecture de cette religion qui soit adaptée à notre région du monde et à notre époque. C’est aux musulmans, et à eux seuls, de prendre leurs responsabilités et de trouver, en eux, les forces pour se réformer et les guides pour les inspirer. Les décrets gouvernements n’ont pas vocation à faire naître des Luther.
Emmanuel Macron ferait bien de changer de raquette et, sans se focaliser sur une seule confession, reprendre à la volée la laïcité et ses valeurs universelles.
Jean-Noël Cuénod
[1] Ses prédécesseurs sont, bien entendu, les premiers responsables de ce retard.Vidéo : le discours du président Macron
Cher ami,
Comme vous avez raison.
Bonne journée
une reprise de volée parfaite contre un coup droit pas très « net »!
bien vu Jean-Noël, as usual…