Même la France verdit son discours politique. Signe que quelque chose dans l’air a changé. Pas l’air lui-même, toujours aussi pollué. Mais un vent favorable semble se lever en faveur d’une économie préservant la nature. Ou, plutôt, d’une économie sauvegardant l’humanité au sein de la nature. Qui, elle, s’en sortira toujours, ne serait-ce qu’en éliminant un prédateur trop menaçant.
Les récents succès électoraux des Verts en France et dans la plupart des pays d’Europe ne constituent pas une première. Jadis et naguère, ils ont engrangé d’autres bons résultats avant de s’affaisser, puis de reprendre du poil de la bête ou plutôt de l’espèce protégée. Cette fois-ci, le fait que les bouleversements climatiques soient devenus aussi évidents que les blessures du Christ sous les doigts de Saint Thomas a changé la donne. L’écologie est devenue le centre du débat politique. Il ne s’agit plus pour les partis, toutes tendances confondues, de se contenter d’une légère touche de vert pour fleurir leurs discours.
Pour la gauche, le temps des pastèques – vert à l’extérieur, rouge à l’intérieur – est révolu. Dans ce contexte, elle a pris près de trente ans de retard et n’a pas encore fini de solder les années 1989-1991. Le communisme s’effondrant avec le Mur de Berlin et l’URSS, la social-démocratie s’est vue privée de l’une de ses menaces les plus efficaces – la crainte d’un appui populaire massif aux partis soviétisés – pour arracher des réformes sociales aux économies capitalistes. Au lieu de revoir leurs principes fondamentaux, les partis du socialisme démocratique se sont laissés aller au train-train électoral, délaissant parfois, surtout en France et sous Blair en Grande-Bretagne, leur électorat naturel pour sniffer les indices boursiers. Comme pour la coke, la descente fut douloureuse.
Rupture décisive
C’est une rupture décisive – épistémologique, ajouteraient les cuistres – que la gauche doit accomplir d’avec son idéologie productiviste. L’ablation est forcément douloureuse car la gauche a toujours défendu, de concert avec le capitalisme, la vision du progrès lié à la production économique. Pour les ancêtres rouges, l’ennemi n’était pas la production mais les exploiteurs qui s’étaient emparés de ses leviers de commande. Le but, c’était de prendre les manettes pour faire tourner la machine dans le bon sens mais en aucun cas de la freiner. « Le communisme, c’est le gouvernement des Soviets plus l’électrification de tout le pays » écrivait Lénine en 1920.
Or, désormais ce n’est plus seulement les moyens de production qu’il faut socialiser, c’est la production elle-même qu’il faut réguler, voire ralentir dans les secteurs les plus agressifs vis-à-vis de l’environnement. Le socialisme était une forme accentuée du progressisme. Il doit devenir une forme atténuée du conservatisme. Car il va falloir conserver, et en premier lieu, l’humain.
L’utilité de la gauche réside dans le contenu social qu’elle pourrait introduire au sein de l’écologie politique. Car celle-ci ne penche pas automatiquement à gauche. Le capitalisme financier cherche aussi à s’en emparer pour y forer de nouveaux gisements de profits. Dans cette optique, le prix le plus lourd de la transition écologique serait supporté par les classes ouvrières et moyennes, les classes dirigeantes s’y soustrayant par leur culture fiscalement hors-sol. Nous en avons eu un avant-goût avec le déclenchement des émeutes « gilets jaunes » en raison des normes écologiques nouvelles devenues insoutenables pour les petits budgets. Cliché de la ménagère aux revenus modestes condamnée à acheter de la bouffe pesticidée et de l’ executive woman déléguant la nounou pour choisir le bio le plus bio. Cliché, certes. Mais réalité, hélas.
Ecologie en vert et brun
L’extrême droite aussi se met à l’écologie. Longtemps, elle l’avait tenue pour quantité négligeable quand elle ne remettait pas en cause l’évidence du bouleversement climatique, façon Trump. Désormais, elle possède en Hervé Juvin ce cerveau qui lui manquait cruellement et qui a phosphoré sur l’écologie. Le petit homme vert du clan Le Pen, c’est lui. Il vient d’être élu au Parlement européen, en cinquième position sur la liste du Rassemblement national.
En apparence, son discours axé sur l’ « écologie des civilisations » et la distribution alimentaire locale peut séduire. Après tout, l’extension de la civilisation américaine à l’ensemble de la planète écrase le libre développement culturel des peuples. S’y opposer est un devoir. Pour ce faire, selon Juvin, il faut élever les murs protecteurs des frontières. Chacun chez soi et son environnement sera bien gardé. Dès lors, l’autre, le migrant, est inévitablement perçu comme un facteur de pollution dont il convient de se protéger. De la lutte pour l’environnement au combat contre l’immigration, il n’y a qu’un pas, très vite franchi.
Illusion : les frontières ne peuvent rien contre la pollution ; la fable française du nuage de Tchernobyl arrêté à la frontière suisse aurait dû rester dans toutes les mémoires, même les plus lepénistes. Les solutions aux multiples problèmes écologiques ne sauraient être élaborées que de façon supranationale. C’est une évidence que le RN ne peut pas accepter, compte tenu du nationalisme borné qui forme son socle idéologique. L’écologie version Le Pen sent le renfermé, sert de prétexte à la xénophobie et n’aura guère d’efficacité sur le plan strictement écologique. Cela dit, il faudra lui opposer un discours bien charpenté sur ce terrain qu’il cherche à occuper.
Le nouveau rôle de la gauche serait donc de rompre avec l’idéologie productiviste et de créer les conditions pour que naisse la social-écologie, c’est-à-dire une force politique qui défend les intérêts des classes ouvrières et moyennes dans le processus de transition écologique devenu inéluctable, qui dessine les contours d’une économie sobre au service d’une société réconciliée avec elle-même et avec sa planète. Pour que cette social-écologie s’impose, elle devra faire naître en son sein une utopie fédératrice et créatrice. L’utopie n’est pas l’illusion. L’illusion voile le regard. L’utopie l’éclaircit.
Jean-Noël Cuénod
Très beau livre ❤️
Je suis d’accord avec vous