« Ça rime à quoi ? », la seule émission radiophonique de poésie: supprimée de la grille de France-Culture ; la Maison de la Poésie de Saint-Quentin-en-Yvelines près de Paris : asphyxiée par fermeture du robinet à subventions; le Festival de Lodève : rayé de la carte. Ces trois emblèmes de la poésie en France vont donc passer par pertes et profits. Une pensée pour Sophie Nauleau, poétesse et productrice de «Ça rime à quoi ? » qui a défendu, toutes griffes dehors, la cause de la poésie chez les médiacrates. Une autre pour le maire et poète Roland Nadaus, qui a créé la Maison de Saint-Quentin-en-Yvelines. Une troisième pour Marc Delouze, cofondateur du Festival de Lodève, et infatigable animateur de l’association Les Parvis poétiques[1].
Toutes ces mises à mort se sont déroulées dans un silence criant d’indifférence. Les protestations qui se sont élevées, ici et là, n’ont pas atteint l’ouïe des médias, sourds mais point muets, hélas.
Cela dit, ces épisodes n’ont rien d’étonnant. Ils sont dans l’ordre des choses. La société actuelle, basée sur l’hypercapitalisme et l’industrie des médias, n’est pas compatible avec l’ « état de poésie », si bien décrit par ce cher Georges Haldas.
Car, voyez-vous, la poésie n’est bonne à rien. Jadis majeur, cet art n’est aujourd’hui même plus mineur; il a disparu des écrans radar. Tout se vend, sauf la poésie. Tout se vaut, mais la poésie ne vaut rien. Impossible de la calibrer pour qu’elle se coince dans les moules de la marchandise. La société médiamercantile a l’estomac nickelé des prédateurs. Elle avale tout : la musique qu’elle met en boîte format mp3, la littérature qu’elle castre pour la rendre consommable, l’art pictural qu’elle transforme en produits dérivés pour enjoliver les réfrigérateurs. Mais avec la poésie, rien à faire, elle la vomit.
Ce qui fait résistance dans la poésie, c’est son inutilité. Elle ne peut pas servir à baliser une carrière, à s’insérer dans la lutte des places, à amorcer la pompe à phynances. Elle ne saurait être, en aucun cas, un divertissement, c’est-à-dire une occupation qui détourne l’humain de l’essentiel. Au contraire, la poésie va à l’essentiel, alors que la société médiamercantile impose le superflu.
La poésie est dilatation de l’être ; elle l’aspire vers l’émotion esthétique. La société médiamercantile est rétractation de l’être ; elle le rabougrise dans sa seule dimension de tube digestif.
Ne nous lamentons pas sur le rejet de la poésie par cette société-là. Au contraire, réjouissons-nous. Il y a au moins une dimension de la vie qui échappe à cette bouillie hypercapitaliste. C’est la seule. D’où sont indispensable inutilité.
Continuons à écrire des poèmes, à les dire, à les vivre, partout, dans les rues, les parcs, les caves, les champs, les arbres, sans rien escompter d’autre que le plaisir du moment présent. Il y aura toujours une oreille attentive à jouir de l’essence-ciel.
Jean-Noël Cuénod
[1] www.parvispoetiques.fr
Essence-Ciel , photo JNC
Mon cher Jean-Noël
Tu sais combien je suis avec grande attention et intense plaisir tes articles parus dans ton blogue. Aussi je suis particulièrement touché que tu mentionnes mon action à propos des Voix de la Méditerranée de Lodève, ainsi que des Parvis poétiques. Parmi les centaines d' »amis » poètes que j’ai pu inviter n’ont pas tous, tant s’en faut, cette délicatesse. Permets-moi donc de réagir en toute simplicité à ton intervention.
J’aurais plein de choses à dire et je me bornerai pur l’heure à ces trois points que tu mentionnes , et intervenir dans le corps même de ton texte : » , et intervenir dans le corps même de ton texte :
« Elle (la poésie) ne peut pas servir à baliser une carrière – Mais si, bien sûr, elle a servi – elle sert encore – à quelques uns à bâtir de carrières, et non des moindres! – à s’insérer dans la lutte des places – mais la lutte des places en question est parfois en poésie aussi brutale, cynique, mesquine que partout ailleurs: le pouvoir symbolique n’étant pas la moindre carotte qui fait marcher le monde poétique! – à amorcer la pompe à phynances – mais il en est qui vivent fort bien de ce minuscule commerce, des manières de fonctionnaires de la poésie occupent des postes qui leur permet de mener une petite vie assez tranquille, voir de voyager aux frais des contribuables Elle ne saurait être, en aucun cas, un divertissement, c’est-à-dire une occupation qui détourne l’humain de l’essentiel. – Mais il y a DES poésies! Et beaucoup de « poètes » tendent à détourner l’humain de l’essentiel, au profit de leur petite personne, ou bien de quelque supplément d’âme qui fonctionnerait comme un baume sur les plaies du réel. » Enfin, concernant les structures dont tu parles – et qui sont menacées ou en phase de disparition, s’il faut s’en attrister, cela ne devrait pas nous dispenser d’émettre des réserves, et même de sérieuses critiques sur la pertinence de leur action « en l’état ». Voilà, ami Jean-Noël, quelques réflexions comme en passant, avant que je ne retourne à mon travail d’écriture, dont j’espère de plus en plus qu’il ne procède pas de la « poésie » telle qu’on la conçoit aujourd’hui. On en reparlera ? Avec toute mon amitié. Marc