Entre les juges à la Cour Suprême états-unienne et les salafistes musulmans, rien de commun, dirait-on. Si l’on excepte un semblable goût masculin pour le port de la robe façon toge ou qamis. Pourtant, l’organe supérieur de la justice d’outre-Atlantique et les prêcheurs du retour à la pureté de l’islam partagent une même passion, celle du passé.
De récentes décisions prises par la Cour Suprême des Etats-Unis ont provoqué un spectaculaire bond en arrière de cette bientôt ex-hyperpuissance. Tout d’abord, l’annulation de l’arrêt Roe contre Wade qui instaurait depuis 1973 un droit fédéral à l’avortement. Chaque Etat peut désormais l’interdire. D’ores et déjà, treize s’apprêtent à le prohiber dans leur loi[1].
Ensuite, le 23 juin dernier, la même Cour Suprême a statué en faveur du droit à porter une arme de façon dissimulée dans l’Etat de New-York, invalidant ainsi une loi prise par ledit Etat.
Trump et sa bombe à retardement
Dans les deux cas, la Cour a statué par 6 voix conservatrices contre les 3 hauts magistrats libéraux qui restent au sein de ce cénacle. L’alors président Trump avait nommé trois juges à sa main durant son mandat. Sa bombe à retardement causera encore bien des dégâts.
La majorité conservatrice de la SCOTUS (Supreme Court of the United States) est donc en train de saper tous les acquis conquis, non sans mal, pour défendre les droits des couches qui n’appartiennent pas aux castes du patriarcat blanc.
Et comme les Etats-Unis barbotent actuellement dans une soupe d’incohérences et de contradictions, l’un des plus conservateurs des juges conservateurs, n’est autre qu’un Africain-Américain de 74 ans, Clarence Thomas[2].
Ce dernier d’ailleurs n’a pas caché que d’autres droits pourraient être remis en question par la Cour Suprême comme la contraception et le mariage homosexuel.
L’« originalisme », une arme théorique des conservateurs
Cette majorité des juges suprêmes défend une théorie du droit américain, appelée « originalisme ». En résumé, elle défend le point de vue que les textes de la Constitution des Etats-Unis doivent être interprétés selon la signification qui était la leur au moment où ils ont été rédigés soit…1737 !
L’un des arguments des originalistes ne manque pas de pertinence, du moins à première vue : la Constitution n’a pas pour objet de s’adapter aux évolutions du temps qui passe. C’est aux législateurs ne l’amender au sein des parlements.
Un socle très vermoulu
Toutefois, l’originalisme repose sur un socle très vermoulu : il postule que les textes la composant se révèlent toujours clairs dans leur rédaction et univoque dans leur expression. Or, l’humain, même doté d’une lumineuse intelligence, reste limité et incapable d’atteindre la clarté absolue sans équivoque qui devrait être la sienne pour satisfaire aux exigences des originalistes.
De toute façon, tout législateur n’est que le produit de son temps dont il reproduit les préjugés, les valeurs et les courants idéologiques.
Dès lors, appliquer mécaniquement en 2022, ce que des législateurs ont voulu dire en 1737 relève de l’imposture. Une imposture que les plus brillants juristes tentent de camoufler par des arguties qui relèvent plus de l’enfumage rhétorique que du sens commun. Et comme tout est compliqué dans les Etats-Unis d’aujourd’hui, certains juristes libéraux se réclament d’une certaine forme d’originalisme ! (Article de fond sur l’originalisme).
Certes, à comparer les juges de la Cour Suprême à des prêcheurs salafistes, on risque fort de tomber dans la caricature. Toutefois, on ne manque pas d’être troublé par certaines similitudes.
Les « pieux prédécesseurs »
Le salafisme est tiré du mot arabe «al-Salaf al-Ṣāliḥ » qui signifie les « pieux prédécesseurs ». Pour combattre l’influence des pensées occidentales et rétablir la justice en ce bas monde actuel, il faut remonter à une période sublime, sacrée où tout était parfait, celle de la prédication de l’islam par le prophète Mohamed et les années qui l’ont immédiatement suivie.
Pour ce faire, il faut s’inspirer des exemples fournis par les « pieux prédécesseurs », soit les compagnons contemporains du prophète, leurs successeurs et les « successeurs des successeurs », trois groupes qui incarnent l’âge d’or de l’islam.
Les juges conservateurs de la Supreme Court disposent eux aussi de leurs « pieux prédécesseurs » en la personne des rédacteurs de la Constitution de 1737 dont il convient de percer les intentions réelles en sollicitant leurs textes. Comme le font les salafistes avec les écrits des « Salafs » remontant au VII-VIIIe siècles.
Le passé pour geler le présent
Dans les deux cas, il s’agit de se référer à un passé devenu mythique et difficilement pénétrable avec les armes intellectuelles qui sont les nôtres au XXIe siècle.
Peu importe que cette mission soit impossible à mener à chef. Avec la glace du passé, il s’agit de geler, ici et maintenant, toutes les tentatives qui tendent vers l’émancipation réelle des humains de tous les carcans sociaux, politiques, économiques idéologiques et confessionnels.
Salafisme et majorité conservatrice de la Cour Suprême ont aussi un autre point commun : ramener la femme à sa place. Subalterne, forcément subalterne.
Jean-Noël Cuénod
Cet article est paru vendredi 15 juillet 2022 sur le magazine numérique suisse BON POUR LA TÊTE-Média Indocile ; https://bonpourlatete.com/
[1] Missouri, Arkansas, Idaho, Kentucky, Louisiane, Mississippi, Dakota du Nord, Dakota du Sud, Oklahoma, Tennessee, Texas, Utah et Wyoming.
[2] Le parcours du juge Clarence Thomas traduit bien ce passage du libéralisme états-unien le plus contestataire au conservatisme le plus obtus. Il est né dans une famille noire et pauvre de l’Etat de Géorgie en 1948. Catholique et formé par les jésuites, Thomas subit la discrimination raciale et fonde un syndicat Africain-Américain au sein de son collège. Le futur hyper-conservateur soutient alors les révolutionnaires du mouvement Black Panther. Par la suite, Clarence Thomas se faufile dans ce sas entre gauche libérale et droite conservatrice que constitue le mouvement libertarien. Il ne cessera de radicaliser ses positions politiques pour épouser les thèses les plus rétrogrades.
C’est à pleurer. POUTINE en 1917, TRUMP en 1950 et la France ?
RN+ANUS…pardon NUPES en arrière toute.
:Encore une fois nous sommes plongés dans un abîme de creflexions!
je vais finir par assister à chacune de vos réunions malgré la distance!
bises
Emile Destriez
Bonjour Jean Noël,
je lis toujours tes écrits avec un immense plaisir et intérêt et j’en partage les contenus. Toutefois cette fois-ci permets-moi de ne pas être d’accord avec toi avec ton affirmation : « Les USA restent malgré tout une grande démocratie ». Non ! Pour moi les USA ne sont plus une démocratie depuis des lustres ! Ils exportent la guerre partout ils en ont envie ; ils déstabilisent les Pays et les laissent dans le chaos ; leur système de référence reste le système mafieux ; ils pratiquent le racisme à la lumière du jour et dernières affaires ….pas d’avortement, mise en doute des droits des homosexuels…Que voulons-nous encore pour être convaincu qu’il n’y a de différence entre la réalité américaine et un film de John Waine que dans la forme ? Non ! Les USA constituent une dictature (celle du pognon et des lobbies) la plus habilement déguisée en démocratie, car ils prétendent avoir un système démocratique, alors qu’il le salissent avec leur pratiques ignobles et rétrogrades. Pour cela je persiste à les considérer un des plus grands danger de notre époque.
Fraternellement
Georeges
Très Cher Giorgio, je suis d’accord avec tout ce que tu dis. toutefois, je maintiens mon point de vue: Les Etats-Unis restent une grande démocratie. Grande par la vastitude de son territoire et l’ampleur de sa population. La différence entre une démocratie et une dictature ne tient pas dans le comportement de l’une ou de l’autre. Les démocraties ont démontré leur capacité au massacre. Il reste une différence de taille: le choix de ses dirigeants à l’issue d’élections ouvertes. Certes, ce n’est jamais parfait et le rôle du financement des candidats est tel qu’il met en péril la démocratie. Mais enfin, les Etats-uniens peuvent choisir leurs dirigeants, ce qui n’est pas le cas des dictatures. Mais, à mon sens, ce qui fait la différence essentielle relève de la liberté d’expression. Les turpitudes des dirigeants démocrates et même les atrocités commises par des Etats démocrates sont régulièrement dénoncées publiquement. Or, en dictature, la chose est rigoureusement impossible. Guantanamo a été dénoncé en premier par les médias états-uniens. Imagines-tu une seconde un média chinois en faire de même avec le lao-gaï? Et regarde le sort qui est fait de la scène médiatique par Poutine. Les démocraties sont peut-être de belles saloperies mais je les préfèrerais toujours à la pureté de façade des systèmes totalitaires. Très fraternellement JNC