C’est officiel, nous sommes aux portes de l’épidémie diffusée par un coronavirus affublé d’un nom aux notes anxiogènes de science-fiction : Covid-19. Les autorités sanitaires prennent des mesures, distillent des conseils d’hygiène corporelle. Mais c’est aussi d’hygiène civique dont il est question.
Les périodes de pandémie[1] n’infectent pas que les corps, elles subjuguent aussi les esprits. La rumeur est la pire des affections virales et suit de près la contagion infectieuse quand elle ne la précède pas.
La peste noire
En pleine période de peste noire au Moyen-Age, une accusation s’est répandue à une vitesse effarante en Europe, volant de village en village dès 1348 : la maladie a pour cause la mise en œuvre d’un complot ourdi par les juifs pour supprimer les chrétiens. Comment ? En empoisonnant les puits d’eau potable.
L’assertion est d’autant plus stupide que les juifs sont aussi touchés par la peste que les chrétiens. Même la bulle du pape Clément VI émise le 26 septembre 1348, qui dénonce l’imposture, se révèle impuissante à calmer la fureur antijuive. Et pourtant, ladite bulle menace d’excommunication quiconque se livrerait aux massacres contre les juifs. Or, à cette époque, l’excommunication est considérée comme la punition suprême.
Le pogrom de Strasbourg
A Strasbourg au début de 1349, la rumeur des puits empoisonnés par les juifs soulève la population. Le maire de la ville s’échine à la contredire et veut protéger les juifs. Conséquence : il est aussitôt démis de ses fonctions. Un vaste pogrom est organisé par la populace : 900 à 2000 juifs sont brûlés vifs sur les bûchers le 14 février 1349. La nouvelle municipalité absout les émeutiers ; les biens des juifs sont répartis entre elle, l’évêché et la bourgeoisie.
D’autres massacres de juifs sont perpétrés en Suisse, en Allemagne, en Autriche, en France, en Espagne à la même époque, massacres causés par la même rumeur. S’il est malaisé de tabler sur des statistiques fiables dans un tel contexte, des historiens estiment tout de même à quelque 50 000 le nombre de juifs assassinés au cours de ces pogroms.
Le pire est que la rumeur des puits empoisonnés est reprise aujourd’hui encore, notamment par le chef de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas (cf. ce communiqué paru sur le site de France-Palestine-Solidarité).
La rapidité à laquelle s’est répandue cette monstrueuse accusation antijuive étonne maints historiens. On imagine ce qu’il en serait aujourd’hui avec les technologies nouvelles de communication, l’omniprésence et l’omnipotence de rézosociaux !
Coronavirus Covid-19 et hygiène civique
S’il faut tenter de se prémunir contre Covid-19 en se lavant les mains, il convient aussi de s’oxygéner les neurones pour se garantir des venins complotistes. Cela dit, des rumeurs charriées par le coronavirus, il y en aura. C’est le lot de toutes les pandémies. Mais il en va d’elles comme des microbes, il est possible d’en réduire les effets néfastes et mortels.
Cela nécessite de partager un brin d’hygiène civique en se montrant attentifs à ce qui se dit, se montre, s’écrit dans nos sphères numériques et en portant systématiquement la contradiction aux malfaisants rumofacteurs. Même les plus crétines des calembredaines peuvent être porteuses de panique et de réaction insensée. Se contenter de les considérer d’un regard méprisant en haussant les épaules et en passant à autres choses, c’est aussi dangereux que de négliger les mesures de prudence sanitaire.
Certes, opposer le bon sens et le raisonnement à une rumeur, cela équivaut souvent à élever un barrage de paille aux flots furieux d’un torrent. Mais si les brins de paille sont solidement tressés, ils peuvent au moins freiner le débit torrentueux, voire le détourner vers des zones asséchantes. Et si l’on ne fait rien, on est certain que le torrent emportera tout sur son passage.
La maladie peut tuer les hommes. La rumeur tue encore plus sûrement les âmes.
Jean-Noël Cuénod
Excellent! Comment peut-on le partager?
Merci cher Roland,
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