Complotisme, une pseudo-religion est née

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« Christ dans la tempête » tableau de Rembrandt volé en 1990 au Musée Isabella Stewart Gardner de Boston.

L’actuelle succession d’événements majeurs à la fois néfastes et malaisément explicables nous fait perdre la boule. Persistance du Covid-19, retour de l’islamoterrorisme, effondrement moral de la première puissance mondiale, désinformation massive via les réseaux sociaux. Dans ce climat pestilentiel, la superstition a trouvé un nouveau masque : le complotisme.

Certes, ce mal social n’est pas tout neuf lui non plus. Il est même aussi vieux que le pouvoir. Ce qui est nouveau, en revanche, c’est la puissance virale que lui confèrent les réseaux sociaux et son association avec une forme sécularisée de la superstition.

Qu’entend-on par complotisme ? Hasardons cette définition puisée à diverses sources dont celle du professeur Peter Knight (Université de Manchester): Il s’agit d’un récit théorique en apparence cohérant qui dénonce un complot imaginaire ou fantasmatique ourdi prétendument par un groupe occulte de décideurs en vue de s’octroyer des avantages illicites ou illégitimes. 

Pour imaginaire ou fantasmatique qu’il soit, ce récit offre peu de prise à la réfutation. Tout d’abord, le simple fait de mettre en question le récit complotiste est interprété par ses auteurs comme un élément même du complot qu’ils dénoncent. Celui qui conteste ce récit, aussi rationnels que soient ses arguments, se voit ainsi enfermé dans une souricière dont il lui sera bien malaisé de sortir.

Le complotisme s’appuie sur une vieille dérive que l’on croyait à tort asséchée par la sécularisation de la société : la superstition. Risquons derechef cette définition : Croyance irrationnelle à l’influence, au pouvoir de certaines choses, de certains faits, à la valeur heureuse ou funeste de certains signes.

Orphelins des croyances

Comme chacun le sait, la croyance en Dieu a été supplantée, dès le XIXe siècle, par une autre, celle dans la toute-puissance de la Science. Avec de nouvelles superstitions, nées de cette certitude, que les guerres allaient être dépassées, la criminalité jugulée, les épidémies vaincues, la faim reléguée aux oubliettes, la pauvreté réduite au statut de témoin d’une époque révolue. Hélas, deux guerres mondiales cataclysmiques, Hiroshima, Tchernobyl, les polémiques nées du dérèglement climatique, les catastrophes environnementales, la persistante misère des uns et l’insolente richesse des autres, ont fait tomber la Science de son divin piédestal.

L’irrationnel et le sentiment superstitieux qui l’exprime sont donc devenus orphelins. Ils ont trouvé dans les théories du complot, jusqu’alors confinées dans un cercle étroit d’allumés, un support à leur taille. Une nouvelle confession est née : le complotisme. Elle a engrangé d’autant plus de fidèles qu’elle est consubstantiellement liée à l’explosion virale des réseaux sociaux qui font du crétin le plus abyssal l’égal intellectuel du génie le plus éprouvé.

Damné succès du succédané

Le damné succès de ce succédané de religion lance aux sociétés humaines du XXIe siècle un défi qui les laisse muettes pour le moment.

C’est donc un nouvel esprit laïque qui devrait naître pour s’opposer à cette nouvelle forme d’obscurantisme qui se répand partout, constituant un danger mortel pour la liberté individuelle, la démocratie et l’Etat de droit, ce ternaire qui rend humaine la vie sociale.

Ce combat est d’autant plus malaisé à conduire que les complots existent bel et bien dans la plus tangible des réalités. Celui monté par les nazis pour déclencher la Seconde Guerre mondiale – à savoir faire croire à une attaque de la Pologne contre le IIIe Reich – en est l’exemple le plus célèbre. A la fin de la guerre d’Algérie, l’extrême-droite française a monté des complots pour attenter à la vie du général de Gaulle. Et les complots mafieux ne sont pas une vue de l’esprit.

Dès lors, même en temps « normaux », il est difficile de distinguer le complot « complotiste » du vrai complot.

Qui plus est, nous vivons aujourd’hui une époque particulière où règne sur toute la planète la contamination au Covid19. Comme les religieux, les médias et les politiciens ont perdu toute crédibilité depuis belle lurette, le grand public s’est tourné vers les scientifiques – même si la science a perdu sa majestueuse majuscule – pour répondre à son questionnement angoissé.

Il est tombé de haut, ce grand public, en découvrant que la science est avant tout tâtonnements, questionnements, recherches, doutes, remises en cause, bref toutes démarches qui ne sauraient délivrer de la certitude sur ordonnance.

Poussés sans doute par l’angoisse collective, les «sachants» se sont lancés dans les polémiques médiatiques, ce qui n’est pas du tout leur terrain, l’un disant le contraire de l’autre, à l’instar du psychodrame de la chloroquine.

Ajoutons à cela, les mesures confuses (un jour pas de masque, un autre, masque obligatoire) ou incompréhensibles (cavistes ouverts, librairies fermées) prises par le pouvoir politique en France mais aussi dans de très nombreux pays, avec d’autres décisions mais une semblable incohérence.

Bref, le virus complotiste ne pouvait trouver meilleur terrain pour infecter les esprits. Grossières infox ou habiles documenteurs, toutes ces cérémonies complotistes ont trouvé dans le « stupéfiant Image » (cf. Régis Debray) la plus entêtante des liturgies.

Domestiquer la Bête en nous

Les contre-enquêtes menées, souvent remarquablement, par d’authentiques journalistes, se révèlent essentielles pour remettre les pendules déréglées à l’heure de l’intelligence. Essentielles, car elles dégonflent des baudruches. Mais non suffisantes car si elles satisfont les attentes de la raison, ces contre-enquêtes, situées uniquement sur le plan rationnel, deviennent inopérantes pour désamorcer la dimension irrationnelle qui est nourrie par les liturgies complotistes.

Les rationalistes prôneront aussitôt d’éradiquer par l’enseignement et l’éducation, les tumeurs irrationnelles. Vaine tentative. Pendant des siècles, enseignants, penseurs, savants nourris par les « Lumières » s’y sont efforcés. Mais chassé par la porte, l’irrationnel est revenu par la cheminée. Inutile de boucher toutes les issues, il s’insinue par les plus infimes interstices.

Pour domestiquer la Bête en nous, les Anciens avaient mis au point des rituels qui permettaient à l’irrationnel d’avoir communication avec les connaissances de la raison. Entre eux, le dialogue était permanent et permettait à l’irrationnel de diffuser à l’humain sa force venue du fond des âges.

Mais par ce phénomène d’entropie qui semble guider nos vies, ces rituels codifiés ont été monopolisés dans les mains de quelques-uns qui ont cédé à la tentation de dominer les autres humains. Toutes les grandes institutions religieuses ont vécu cette évolution, de lien qui libère au lien qui entrave.

Pour surmonter cette période délirante que nous subissons actuellement. Il faut certes remettre la raison au centre de l’action collective. Mais on ne saurait faire l’économie d’une domestication de l’irrationnel.

C’est une nouvelle relation avec ce qui nous dépasse, avec le cosmos, l’infiniment grand, l’infiniment petit qu’il conviendrait d’entreprendre et un nouveau récit sur la vie-mort qu’il faudrait proposer aux humains. Une nouvelle religion ? Peut-être. Mais en prenant garde de pratiquer dans ses murs tout neuf, une sortie de secours !

Jean-Noël Cuénod

3 réflexions sur « Complotisme, une pseudo-religion est née »

  1. Je souscris totalement à cette analyse de manière rationnelle, et m’enthousiasme de façon parfaitement irrationnelle pour ta claire/Voyance, cher Jean-Noël !
    Car l’humour, même avec ses armes dérisoires, est susceptible de déstabiliser le complotiste qui en est totalement dénué.

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