Démêler le vrai du faux tenait déjà de l’exercice malaisé. Désormais, il relève de l’exploit, dès lors que l’hypothèse d’un accident de labo à Wuhan, comme cause de la pandémie, prend consistance. La « rumeur infondée » ne le serait pas tant que ça. Les complotistes n’auraient donc pas toujours tort. Entre dénonciation légitime et fiction fumeuse, nous voilà ramant sur la galère de l’océan numérique.
Cette affaire du labo de Wuhan illustre parfaitement les évolutions dans la façon de considérer une rumeur, tantôt valorisée, tantôt dénigrée.
Premier temps : naissance d’une réaction virale
Fin janvier 2020, les rézosociaux découvrent que le laboratoire de virologie de Wuhan en Chine est voué aux recherches sur les coronavirus et que les premiers malades proviendraient de cette ville. Le lien est vite établi: par maladresse ou malveillance, le coronavirus Covid-19 se serait échappé d’une éprouvette, tel un génie malfaisant surgissant de sa lampe d’Aladin.
Deuxième temps : discrédit
Le 19 février 2020, vingt-sept scientifiques signent une tribune dans The Lancet, revue médicale d’influence mondiale, pour rejeter catégoriquement l’hypothèse d’un accident de laboratoire à Wuhan et dédouaner les autorités chinoises. Lorsqu’en mai 2020 l’alors président Donald Trump affirme – comme d’habitude sans étayer ses propos – que le Covid-19 sort du laboratoire de Wuhan, c’est l’éclat de rire quasi-général. Il faut dire que Moumoute Jaune a tellement proféré d’âneries au cours de sa présidence que s’il prétendait que la pluie a pour effet de mouiller, il nous convaincrait de troquer notre parapluie pour une ombrelle.
Contre-attaque de Pékin de même niveaux : Zhao Lijian, porte-parole de la diplomatie accuse l’armée des Etats-Unis d’avoir apporté l’épidémie à Wuhan !
Les élucubrations d’un président décrédibilisé associées aux divagations de la dictature chinoise – qui ment sans avoir besoin de respirateur artificiel – enterrent la rumeur sous les sarcasmes. Définitivement ? Non.
Troisième temps : renaissance
Après quatre mois de recherche, l’enquêteur en chef du Département d’Etat (ministère des affaires étrangères des Etats-Unis), David Asher, remet aux autorités états-uniennes, le 15 janvier 2021, son rapport sur l’hypothèse d’un accident de labo à Wuhan. Il est accablant pour les autorités chinoises.
Conclusion de David Asher : «Une fuite de laboratoire, à ce stade, c’est la seule hypothèse qui ait du sens» ( lire son interview dans Le Figaro )
Dans un premier temps, ce rapport passe sous les radars de l’actualité focalisée sur les trumpries de fin de mandat et l’investiture du nouveau président Joe Biden, le 20 janvier.
Toutefois, ce rapport fait son chemin progressivement. Le 13 mai dernier, dix-huit scientifiques signent dans la revue Science une tribune appelant « à examiner plus sérieusement l’hypothèse d’un accident de laboratoire comme origine de la pandémie ».
Deux semaines plus tard, le président Biden déclare publiquement que l’hypothèse d’un accident de laboratoire est à nouveau envisagée mais sur le même plan que celle d’une origine naturelle de la propagation du coronavirus : «À ce jour, les services de renseignement américains se sont ralliés à deux scénarios probables, sans parvenir à une conclusion définitive». Il annonce que l’enquête se poursuit.
Quel petchi !
Plusieurs leçons à tirer de ce petchi[1]. Tout d’abord, les délires des complotistes cachent parfois d’authentiques affaires. Et dans les monceaux d’infox que profère Trump, il peut se trouver une pépite, à condition d’en débarrasser la gangue.
Ensuite, ce n’est pas parce que Biden est crédible qu’il faut accorder foi à ses déclarations qui semblent d’autant plus convaincantes qu’elles sont énoncées sur un ton prudent.
Après tout, le président états-unien est en plein bras-de-fer avec la dictature chinoise qui lui dispute l’hégémonie mondiale. Il serait étonnant que l’affaire du labo de Wuhan ne tienne aucun rôle dans cette gigantesque partie de go. Ce qui d’ailleurs ne contredit nullement l’hypothèse de l’accident d’éprouvette… sans la valider pour autant !
Eloge de la lenteur et du non-savoir
La première vertu pour affronter cette mer houleuse est la lenteur. Ne pas sauter sur les conclusions hâtives qui vibrionnent. Se méfier de tout et de tous, en restant ouverts aux thèses qui semblent farfelues parce qu’émises par des dingos.
Exercice tortueux et torturant, certes. Mais si vous parvenez à dire – « je ne sais pas » –, vous aurez fait de grands progrès sur le chemin de la santé mentale.
Jean-Noël Cuénod
[1] C’est du suisse, ne cherchez pas plus loin. Formule un peu plus polie que « c’est le bordel ».