Voulez-vous gagner un pari sans risquer de le perdre? Alors, misez sur le voile islamique comme première question qui sera posée lors d’une conférence ou une émission consacrée à la laïcité. Vous gagnerez à tous les coups. Je n’évoque même pas le voile intégral, burqa ou niqab, qui reste le signe le plus manifeste de la régression obscurantiste. Non, je parle du simple voile qui cache la chevelure des musulmanes. C’est incroyable la passion ce que ce bout de tissu provoque!
Voilà qui est regrettable, car trop souvent l’essentiel des discussions se focalise sur cette question textile et l’on en vient à oublier les vrais sujets qui fâchent dans le débat entre musulmans et non-musulmans en Europe. Or, il y en a deux, au moins, qui mériteraient que les représentants de l’islam en Europe se mettent d’accord pour clarifier leur position et la diffuser massivement auprès de leurs ouailles.
Premier sujet épineux, celui des versets mecquois et médinois du Coran. Cette question d’apparence technique se trouve au centre de nos préoccupations les plus actuelles. Le texte coranique, «dicté» directement par Allah au prophète Mohammed, est composé de 114 sourates (chapitres). 86 d’entre elles furent révélées lors des treize années durant lesquelles Mohammed a prêché à La Mecque; les 28 autres l’ont été à Médine, après le départ en exil (l’Hégire) du prophète et de ses compagnons vers cette ville.
VERSETS DE LA PAIX,
VERSETS DE LA GUERRE
Les sourates mecquoises mettent principalement l’accent sur la paix et la tolérance, alors que les sourates médinoises prônent surtout la guerre et font montre souvent d’intolérance. Si des sourates sont intégralement mecquoises ou médinoises, il en existe d’autres qui mélangent les deux inspirations. Il convient donc d’utiliser la notion de versets plutôt que celle de sourates.
Leurs caractéristiques stylistiques propres permettent aux spécialistes de distinguer entre versets de La Mecque et versets de Médine. Certains musulmans utilisent les versets mecquois pour souligner le caractère pacifique de leur religion alors que d’autres brandissent les versets médinois pour en appeler au Djihad.
Alors à quels versets se vouer? Après la révélation coranique, dès le Xe siècle, les savants de l’islam ont élaboré la doctrine de l’abrogation pour répondre à cette question. En principe, c’est la «dernière parole d’Allah» qui abroge la plus ancienne. Dès lors, les islamistes radicaux ont beau jeu de proclamer que les versets guerriers de Médine abrogent les versets pacifiques de la Mecque, ces derniers étant les plus anciens.
Aujourd’hui, d’autres docteurs de l’islam affirment que ce sont les versets mecquois (pacifiques) qui, étant révélés en premier, ont la primauté sur les versets guerriers. D’autres envisagent le Coran comme une unité composée d’éléments contradictoires mais en apparence seulement; ils veulent dépasser ces contradictions apparentes et placer les versets médinois dans le contexte de guerre qui était le leur au moment de leur révélation.
SUJET ÉPINEUX
DE L’APOSTASIE
Second sujet épineux, l’apostasie. Quitter l’islam est un péché majeur, une trahison vis-à-vis d’Allah et de la communauté musulmane. Mais l’apostat est-il justiciable de la colère divine uniquement ou doit-il être condamné à mort par la justice des hommes comme en Arabie Saoudite, en Iran ou en Mauritanie? à ce propos, les prédicateurs musulmans divergent considérablement.
À l’évidence, tant la primauté des versets médinois (guerriers) que la répression de l’apostasie sont inacceptables pour l’ordre public des pays européens. Il n’y a pas de négociation possible à ce propos. Il appartient donc aux musulmans d’Europe de donner à leurs compatriotes non-musulmans les assurances que ces derniers sont en droit d’exiger. L’absence d’une autorité centrale, de type Vatican, en islam ferait-elle obstacle à une prise de position commune?
Rien n’empêche les musulmans d’Europe de se fédérer afin de débattre de ces questions en leur sein. Il appartient aussi aux non-musulmans de faire preuve, dans leurs débats avec les fidèles de l’islam, à la fois de respect vis-à-vis de cette religion et de fermeté dans la défense de la liberté de conscience.
Jean-Noël Cuénod
Editorial paru dans l’édition de juin de La Cité.