Première leçon à méditer pour les dirigeants du Continent après le Brexit: on ne construit pas l’Europe sans les peuples. Ils ont été sciemment écartés de ce processus par les chefs d’Etat des pays membres qui ont voulu conserver leurs prérogatives, tout en mettant leurs échecs sur le dos de l’Union européenne.(Dessin d’Acé)L’instance qui pèse le plus lourd dans cet ensemble d’institutions incohérentes qu’est l’UE reste le Conseil européen qui réunit les chefs d’Etat et de gouvernement nationaux. Ces derniers n’ont eu de cesse d’empêcher le Parlement européen d’avoir les pouvoirs nécessaires pour remplir vraiment son rôle de législatif.
A aucun moment, les chefs d’Etat membres de l’UE n’ont voulu clairement choisir la voie fédérale. Or, pour construire un ensemble pareil, il n’y a pas d’autres solutions. Soit, c’est le fédéralisme, soit c’est la souveraineté quasi absolue sur son pré carré. L’UE avait tenté une troisième voie des plus baroques en centralisant l’accessoire et en décentralisant le nécessaire. On s’explique : Bruxelles édicte des directives contraignantes concernant les sujets qui devraient être traités aux échelons nationaux voire régionaux. En revanche, l’UE ne s’occupe pas de l’essentiel, à savoir la défense, la diplomatie, la sécurité à tous points de vue. Résultat : les peuples constatent que l’Union Européenne les enquiquine pour des vétilles mais les laisse tomber lorsqu’il s’agit de les protéger militairement ou socialement. Dans ces conditions, l’UE est condamnée à être perçue comme un amas de gaz plus ou moins toxique. D’où la tentation de fermer la porte des nations pour y échapper.
Aujourd’hui, les souverainistes pavoisent après le Brexit voté par les Anglais et les Gallois (mais refusé par les Ecossais et les Irlandais du Nord, le Royaume Uni ne l’est plus !). Mais à l’ivresse succède la gueule de bois.
Car de quoi est constituée leur souveraineté ? De rien ou de si peu de choses. Aujourd’hui, aucun pays, pas même l’Allemagne, n’a la taille nécessaire pour assurer une politique indépendante à l’ère de la globalisation. L’indépendance nationale des souverainistes au XXIe siècle n’a d’autre réalité que celle d’un village Potemkine. Que pèsent la France et les autres pays dits « grands », face à Google, Microsoft, les multinationales, le géant chinois, la puissance américaine ? Le poids d’une plume soufflée au grand vent mondialisé. Ces Etats ont été incapables de contrer le secret bancaire de la petite Suisse ; ils n’y sont finalement parvenus qu’en raison des décisions prises par les Etats-Unis contre les banques helvétiques.
Seule l’Europe a la taille critique nécessaire pour affronter la tourmente mondialisée et pour lui apporter cette régulation sans laquelle nous allons entrer dans l’enfer social. Mais pour ce faire, l’Union devra arrêter de nous ennuyer avec la courbure des concombres pour construire un ensemble fédéral cohérent.
Avec le Brexit, une Europe est morte, vive l’Europe !
Jean-Noël Cuénod