« Blonde »– La décence antidote à la censure?

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Qui est qui? (Photo captée sur le « Blog du Cinéma »)

Elle incarne Marilyn Monroe dans le film « Blonde ». Et l’actrice hispano-cubaine Arna de Armas a peur. Non du spectre de la Star (quoique…) mais des réseaux sociaux qui ne manqueront pas de capter les scènes de nu pour les livrer à un usage aussi libidineux que viral. Et si la décence devenait l’antidote à la censure qui menace? On peut toujours rêver…

Avant même sa sortie en avant-première à la Mostra de Venise le mois dernier, Blonde a suscité moult polémiques. Et maintenant que ce film est disponible sur Netflix, elles vibrionnent dans les médias. C’est bon pour la caisse, ça, Coco!

Inspiré du roman de Joyce Carol Oates et réalisé par Andrew Dominik, Blonde suit Marylin Monroe et ses turbulences, comme vécues de l’intérieur.

Le magazine états-unien Variety accorde à ce film un long papier émaillé d’interviewes rédigé par  Daniel d’Addario, « Chief TV critique » de l’hebdomadaire (l’article en entier). Au sein de ses quelque 28.000 signes-espaces, figure, l’air de rien, ce passage: 

Sans y être invitée, Ana de Armas évoque d’elle-même le fait que des images de son corps nu – accessibles à toute personne abonnée à Netflix – circuleront dans le monde entier, en dehors du contexte de l’œuvre, indique Daniel d’Addario: « Je sais ce qui va devenir viral », dit-elle, « et c’est dégoûtant. C’est bouleversant rien que d’y penser. je ne peux pas le contrôler; vous ne pouvez pas vraiment contrôler ce que ces gens font et comment ils sortent les choses de leur contexte. Je ne pense pas que cela m’a donné des doutes; cela m’a juste donné mauvais goût de penser à l’avenir de ces clips ».

Transformer l’or érotique en plomb pornographique

Et l’actrice passe vite à un autre sujet, moins sordide. Pourtant la réaction qu’elle a spontanément exprimée mérite que l’on s’y attarde, tant elle démontre la toxicité virale qui peut contaminer les réseaux sociaux et par suite, la liberté de création et même la société tout entière. Une contamination qu’aucun vaccin ne semble en capacité d’éradiquer. 

Des scènes de nu qui s’insèrent de façon légitime, naturelle, sans rien de gratuit, au sein d’un récit cinématographique sont donc détournées par des bandes trolls masqués pour transformer l’or érotique en plomb pornographique.

 Comme de bien entendu, les femmes sont placées en première ligne. Le corps de l’actrice, ainsi détourné du contexte de l’oeuvre qu’elle illustre, est livré à la concupiscence générale sans qu’elle puisse se défendre. Une sorte de viol collectif numérique.

Vers l’autocensure

Les trolls lubriques osant tout, « c’est même à ça qu’on les reconnaît », ils iront de plus en plus loin dans l’agression libidineuse. A un point tel que les libertés de création et d’expression risquent fort de passer à l’as, induisant les artistes à l’autocensure.

Les actrices et les acteurs hésiteront à se livrer ainsi en pâture, voire refuseront tout net, les inconvénients d’une image pervertie et dégradée l’emportant sur toutes autres considérations même financières. Les producteurs hésiteront à se lancer dans un film où s’inscrit la nudité, les réalisateurs et les scénaristes corrigeront de façon à éviter toute scène pouvant être détournée. 

Il y a trois ans, l’UNESCO avait fait mettre des strings aux statues de nus créées par Stéphane Simon lors d’une exposition qui s’était déroulée au siège parisien de cette organisation internationale. 

Il faut dire qu’à la Renaissance déjà, de prudes mains avaient apposé des feuilles de vignes aux statues antiques, leur nudité ayant perdu l’innocence primitive. Il est vrai que le regard des papes de cette époque était tout sauf innocent, malgré le prénom choisi par deux d’entre eux (les numéros VIII et IX).

C’est ainsi que la liberté d’expression sans frein des trolls entame la liberté de création des artistes et que l’obscénité vient en aide à la pudibonderie. 

« Common Decency »

Le plus déprimant réside dans cette impuissance dont se plaint Ana de Armas. La chasse aux trolls semble perdue d’avance tant ces E-gnomes se montrent insaisissables. Certes, les plateformes numériques pourraient fermer leurs robinets à insanité. Mais les pornographes numériques bricolerons sans nul doute une dérivation pour écouler leurs cochonneries. De plus, lorsque les plateformes numériques se mettent à la censure, c’est la catastrophe assurée tant le sens des nuances leur est étranger.

Il y aurait bien une solution, la décence. Non pas la pudeur et les ceintures de chasteté à tous les étages. Mais la simple, claire et chaleureuse décence. Cette « common decency » prônée par Georges Orwell, ce « sens moral inné » des gens , cette voie du milieu qui chasse d’un même revers de main l’insanité et le puritanisme, qui sait faire la part des choses entre l’expression artistique et le déversement graveleux.

Hélas, les algorithmes qui nous gouvernent avantagent toujours la mauvaise monnaie au détriment de la bonne.

Jean-Noël Cuénod

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