Quelles leçons la caste politico-médiatique a-t-elle tirées de la manif de dimanche contre l’antisémitisme? Aucune ou alors si peu. Il y avait pourtant de quoi se mobiliser avec l’explosion des comportements antisémites en France mais aussi en Suisse, en Allemagne et partout dans le monde.
Les gros médias se sont surtout focalisés sur ces navrantes questions: pourquoi le président Macron s’est-il défilé à ce défilé? Pourquoi la France Insoumise a-t-elle joué la vilaine boudeuse? Faut-il faire cortège avec ou sans le Rassemblement national? Doit-il marcher à côté, à gauche, à droite, derrière, devant? Et voilà le carrousel aux petites phrases si bien lancé qu’on en éprouve la nausée. Le pompon de la réaction lamentable a été décroché par ce pauvre Ciotti, de haute lutte. Car il y avait concurrence. Rude.
On s’en fout de vos histoires à communiquer dehors!
Macron n’y est pas ? Mélanchon non plus? Marine Le Pen est là et pas tout à fait là? Mais on s’en fout de vos histoires à communiquer dehors ! Royalement. Magistralement. Définitivement.
La haine antisémite déferle de toutes parts et de tous les milieux. Au lieu de colmater, on chipote sur Machin qui en fait trop, sur Truc qui ne fait rien, sur Macroméluche qui fait mal, sur Marine qui marine.
Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que Toutune-Chacune et Toutun-Chacun délaissent les gros médias et troquent leur bulletin de vote contre le ticket du tiercé.
Pas de hiérarchie des infamies
Fallait-il marcher contre l’antisémitisme de façon spécifique ou l’englober dans une dénonciation du racisme en général?
Antisémitisme et racisme sont deux fléaux à combattre, et l’un et l’autre. Pas l’un plus que l’autre. Pas l’autre plus que l’un. Le fait de reconnaître leur différence de nature ne signifie pas qu’une sorte de hiérarchie des infamies serait ainsi établie.
Eaux polluées dans les deux cas mais qui proviennent de sources différentes (lire aussi cette note de Canopé, réseaux de formation des enseignants français).
– Le racisme se caractérise avant tout par le rejet, voire la haine de l’autre visiblement perçu comme n’appartenant pas au même groupe humain que le raciste, même si celui-ci et sa victime possèdent la même nationalité.
– Il se distingue de la xénophobie qui vise ceux qui n’ont pas la même nationalité que le xénophobe même s’ils appartiennent au même groupe humain visible.
– L’antisémitisme se présente sous une forme plus complexe.
De l’antijudaïsme à l’antisémitisme
Sous l’aspect de l’antijudaïsme, on en trouve des traces dans l’Egypte ptolémaïque et la Rome antique. Il s’est fortement accentué avec la séparation entre le judaïsme et le christianisme. Les chrétiens rejetant leurs frères aînés avec l’énergie du cadet qui veut ménager sa place au soleil.
Il s’agissait d’un antagonisme violent mais restreint au domaine confessionnel. Les chrétiens cherchaient à convertir le juif, de force souvent, mais sans l’anéantir du fait de son appartenance ethnique. « Un juif converti, cela ne fait pas un juif de moins mais un chrétien de plus » disait-on.
Si le mot antisémitisme a été forgé à partir de la langue allemande au XIXe siècle, ce qu’il signifie – à savoir la haine des juifs en tant que groupe ethnique – est apparu quatre siècles plus tôt comme l’explique le Conseil des sages de la laïcité dans une note de juillet-octobre 2020:
Dès le XVe siècle en Espagne, la question de « la pureté du sang » (la «limpieza de sangre») introduisit l’idée d’une transmission héréditaire de la culpabilité. Un chrétien devait prouver qu’il n’avait pas d’ascendance juive pour accéder à certaines charges. Le rejet ne se faisait plus seulement sur une base religieuse, mais encore sur une base «raciale», c’est-à-dire en considération d’un lignage «pur». La conversion et le baptême ne lavaient pas de l’opprobre.
L’antisémite ne sait plus où donner du préjugé
L’antisémite est confronté à cet écueil: le juif ressemble à tout le monde, en tout cas aux Arabes ou aux Européens en fonction des nations de la Diaspora. Teint hâlé ou teint pâle? Cheveux frisés noirs ou cheveux plats blonds? Nez busqué ou nez droit? L’antisémite ne sait plus où donner du préjugé.
Il tente de s’accrocher aux caricatures dont le juif est accablé. Seulement voilà, nombre de non-juifs leur ressemblent, à ces caricatures!
L’Allemagne nazie avait mobilisé ses pseudo-savants pour établir des fiches qui permettraient, à coup sûr, de distinguer le juif de l’aryen. Peine perdue.
Exemple de cet échec: l’architecte de la Shoah, le SS Reinhard Heydrich, a fait l’objet de rumeurs, tout au long de sa sanglante carrière, sur une supposée ascendance juive jamais démontrée alors qu’il correspondait exactement à l’allure physique des aryens telle que les nazis l’avaient décrite.
Une rage spécifique
L’antisémite est souvent taraudé, comme le fut Heydrich, par la crainte de porter un juif en lui.
Ce n’est donc pas seulement l’autre qu’il hait mais aussi lui-même. C’est ce qui fait le caractère particulier de l’antisémite et cette rage spécifique qui l’anime.
Les vagues d’antisémitisme forment souvent les signes avant-coureurs de bouleversements profonds, fondamentaux.
Aux marées des pogroms dans la Russie du XIXe siècle a succédé la Révolution bolchevique.
Après les poussées antisémites de la fin du XIXe siècle-début du XXe en France et en Allemagne, est survenue la Première Guerre mondiale qui a opposé les deux pays.
Quant à la montée de l’antisémitisme dans les années 1920-30, est-il besoin de rappeler comment elle s’est terminée?
Un phénomène général
Depuis les atrocités commises par le Hamas en Israël le 7 octobre et les bombardements sur Gaza, les actes antisémites se propagent partout comme le démontrent les chiffres du ministère français de l’Intérieur, ceux d’autres pays récoltés par le quotidien La Croix et en Suisse par Le Temps et la Tribune de Genève.
– France: 1518 actes ou propos antisémites depuis le 7 octobre par le truchement de graffitis, d’insultes mais aussi de coups et blessures. Ce qui représente en cinq semaines le triple des actes et propos antisémites enregistrés pour toute l’année 2022.
– Grande-Bretagne: 1019 actes et propos antisémites sur la même période soit une hausse de 537% par rapport à la même période de l’an passé.
– Allemagne: 202 actes et propos antisémites (même période) soit une augmentation de 242% par rapport à la même semaine en 2022.
– Autriche: 165 cas de même nature, soit quatre fois plus que l’année dernière à la même période.
– Etats-Unis: la Maison-Blanche ne donne pas de chiffres précis pour l’ensemble du pays mais signale une « hausse alarmante des incidents antisémites dans les écoles et sur les campus universitaires ».
– New-York: 66 actes et propos antisémites, soit 164% de plus que l’an passé.
– Suisse: pays fédéral, la Suisse n’a pas encore fait remonter à Berne les statistiques cantonales. Mais les Communautés juives annoncent une recrudescence d’actes et de propos antisémites. Pour la seule Suisse romande, la CICAD (Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation) dénombre 146 actes antisémites depuis le 7 octobre soit cinq fois plus que durant la même période en 2022.
Il est à noter que ces actes sont intervenus alors que les atrocités commises par les terroristes du Hamas – filmées et diffusées par eux-mêmes – ne faisaient aucun doute quant à leur existence.
Le symptôme d’une profonde maladie
Le phénomène se généralise donc ce qui montre que nous sommes face à une vague antisémite de grande ampleur.
Comme les autres déferlantes du passé, celle-ci est le symptôme de la profonde maladie qui s’abat sur notre époque. Et annonce des lendemains de requiem.
S’il est probable, le pire n’est toutefois jamais certain. Même dans les situations les plus désespérées, le redressement reste possible.
Il n’y a plus grand chose à attendre des dirigeants actuels, dépassés par la dimension colossales des défis à relever. C’est avant tout aux peuples eux-mêmes de se ressaisir et de commencer par ne plus voter pour n’importe quel camelot communicant. S’ils en ont la force, ils dégagerons de leurs rangs, les élus aptes à affronter les périls.
S’ils ne l’ont pas, pauvres de nous!
Jean-Noël Cuénod
A l’origine, paraît-il, il y a le « peuple élu »
Les « autres » refusent le « peuple élu » et le font sentir
Merci Jean-Noël pour ton article.
Deux petits commentaires, ce sont les chrétiens qui pour montrer qu’ils étaient les héritiers du judaïsme parlent du « peuple élu ». Je n’ai jamais entendu dire dans le monde juif : nous sommes le peuple élu.
La différence entre le racisme et l’antisémitisme est aussi celle-ci : le raciste pense que les personnes appartenant à d’autres ethnies visibles que la sienne lui sont inférieures: moins intelligentes, moins civilisées, moins belles, etc.
L’antisémite au contraire développe un sentiment de jalousie. Pour lui les Juifs sont plus riches, plus puissants, plus malins, etc. Donc plus rusés et plus dangereux.
Bien à toi
Chère Claire, merci de ton commentaire. Toutefois un petit désaccord concernant la notion de « peuple élu ». Tu la retrouves, bel et bien, dans la Torah. Exode chapitre 19, verset V et VI
– Maintenant, si vous écoutez ma voix, et si vous gardez mon alliance, vous m’appartiendrez entre tous les peuples, car toute la terre est à moi;
– vous serez pour moi un royaume de sacrificateurs et une nation sainte. Voilà les paroles que tu diras aux enfants d’Israël.
Et encore plus explicite:
Deutéronome chapitre 14 verset II:
Car tu es un peuple saint pour l’Éternel, ton Dieu; et l’Éternel, ton Dieu, t’a choisi, pour que tu fusses un peuple qui lui appartînt entre tous les peuples qui sont sur la face de la terre.
Et puis, version plus profane, tu as la formule de Tristan Bernard:; « Peuple élu, dites-vous? Je dirai plutôt peuple en ballotage »
Bien à toi. JNC
Très belle et effrayante analyse.
Me permets-tu de la relayer sur le site du Laboratoire Loiret de la Laïcité : https://labolaiciteloiret.wordpress.com/
Amitiés
Gilles K