Philippe A. Grumbach, avocat genevois et homme de cœur, s’en est allé trop tôt à 65 ans dans la nuit de vendredi à samedi. Sa vie durant, il n’a cessé de combattre l’antisémitisme, cette plaie qui continue à suinter dans les consciences. Souvenir d’un moment de partage intense à Auschwitz-Birkenau.
Le négationnisme, forme la plus perverse de l’antisémitisme, fut l’un des combats majeurs qu’il a menés lors de nombreux procès – notamment celui contre Dieudonné – mais aussi dans la société civile en tant que président de la CICAD (Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation – 2001-2009), de la Communauté israélite de Genève (2015-2020) et membre du comité suisse de la LICRA (Ligue contre le racisme et l’antisémitisme).
L’article 261bis
Il a aussi milité très activement pour l’inscription dans le Code pénal suisse de l’article 261bis qui réprime la discrimination et l’incitation à la haine ainsi que la négation des génocides et autres crimes contre l’humanité (voir le texte complet ci-dessous).
Une amitié s’est nouée entre Philippe Grumbach et moi-même au cours des nombreux procès que nous avions suivis, l’un comme avocat et l’autre, en tant que chroniqueur judiciaire. C’est lors d’un voyage à Auschwitz-Birkenau que cette amitié a été gravée à jamais dans ma mémoire.
Lors d’une froide et pluvieuse journée du printemps 2005, des classes d’élèves genevois ont participé à la visite de ce centre des camps voués à l’extermination des Juifs et des Tsiganes, visite commentée par des rescapés. Alors président de la CICAD, Philippe Grumbach faisait partie des accompagnants de cette leçon du souvenir que je suivais pour la Tribune de Genève.
Le vertige
Pour lui, ce moment revêtait un caractère tout particulier. Des membres de sa famille avaient été exterminés dans ce camp de la mort. C’est à ses proches – dont il ne connaissait le visage que par l’intermédiaire des albums de photos – qu’il songeait entre deux baraquements. D’une voix douce, avec son regard voilé vers les barbelés, il évoquait la tragédie de ces parents qui n’auraient jamais dû être là.
Leur but était de rejoindre la Suisse, venant d’Amérique latine, mais ils avaient voulu faire un crochet par Paris. Et c’est dans la capitale française qu’ils ont été arrêtés, puis déportés vers Auschwitz-Birkenau.
A quoi tient le destin d’un être humain? A si peu de choses que l’on en éprouve le vertige. Un de ces vertiges qu’il est impossible d’effacer, qui vous tient de toute la force de son absurdité.
Je revois ce geste de Philippe enlevant ses lunettes le plus furtivement possible pour écraser une larme.
Philippe, cette larme, je la garde comme le plus précieux des souvenirs.
Jean-Noël Cuénod
Il était au comité de la Licra-Suisse, alors que j’en étais la secrétaire générale.. Nous avons milité ensemble. Il a ensuite quitté la Licra pour créer la CICAD, qui contrairement à la Licra, dépend des communautés juives de Suisse romande. C’était une bonne idée pour un combat précis mais sans le côté universaliste et laïc. L’idée était d’en faire une sorte de Crif suisse romand. Le père de Philippe m’avait demandé de prendre le secrétariat général de la CICAD , j’avais refusé par loyauté envers ceux qui me faisaient confiance à la Licra et par attachement à l’universalisme et à la laïcité. Bernard Lavrie et Brigitte Sion ont été secrétaires généraux de la CICAD….. les souvenirs remontent. Il y a plus de trente ans……