Voilà une nouvelle qui ne fera tomber personne de l’armoire, même normande, tant elle était attendue. Au moins depuis décembre. Christiane Taubira a donc démissionné de son poste de ministre de la Justice. Disons plutôt qu’il s’agit d’un divorce par consentement mutuel avec l’Elysée. Farouchement opposée à la déchéance de la nationalité pour les terroristes, il lui était impossible de défendre ce projet devant le parlement français. C’est d’ailleurs le premier ministre Manuel Valls qui a dû le présenter ce matin même à la Commission des lois de l’Assemblée nationale. Ajoutons en passant que cette commission était présidée par celui qui remplacera Mme Taubira à la Justice: Jean-Jacques Urvoas. (Dessin d’Acé)
Les réactions des dirigeants politiques à ce départ démontrent à quel point le discours politique en France a sombré dans le ridicule et la caricature. A gauche, c’est à une Madone que l’on destine les coups d’encensoir les plus empanachés de parfums gras. A droite, c’est sur une Gorgone que l’on jette les paquets de boue les plus pestilentiels. Il est vrai que la désormais ancienne ministre ne laisse personne indifférent; s’il est une personnalité contrastée, c’est bien la sienne.
Madone ou Gorgone ? Ombres et lumières
Celle qui, comme son titre l’indiquait, a gardé les sceaux de la République française pendant près de quatre ans, a commencé sa carrière politique par militer contre elle en réclamant l’indépendance de sa contrée natale, la Guyane. Au début des années 80, la jeune politicienne, constatant que les Guyanais voulaient massivement rester Français, a renoncé au séparatisme en créant Walwari, un parti local autonomiste, aujourd’hui lié au Parti radical de gauche. Par conséquent, l’idole de l’aile gauche du Parti socialiste… n’est pas socialiste!
Du courage, de la niaque, de l’éloquence, du sens tactique et du panache, Christiane Taubira n’en manque pas. En sont convaincus, tous ceux qui l’ont vue défendre au Palais Bourbon (parfois bourbeux) la loi autorisant le mariage homosexuel au milieu des vociférations que proféraient de grimaçants députés de droite remontés comme des lapins Duracell par le curé de leur circonscription.
Si le verbe est efficace, l’action l’est moins. Et son goût pour l’improvisation baroque laisse songeur. Un exemple parmi d’autres: en octobre dernier, à la faveur – si l’on ose dire – d’un fait-divers, elle avait annoncé une réforme visant à escorter certains détenus dangereux en congé par des policiers ou des gendarmes. Comme si les agents de la sécurité intérieure étaient sous-employés après les attentats de janvier 2015! Evidemment, plus personne ne parle aujourd’hui de cette «réforme».
En outre, son caractère autoritaire et cassant a usé quatre directeurs de cabinet, soit plus d’un par an. Cela traduit son incapacité à mener une équipe, ce qui est bien gênant pour une responsable politique.
Urvoas, l’homme de la police ? Pas forcément
Cela dit, sa démission dépasse de plusieurs coudées son cas personnel. Les médias ne cessent de rabâcher que François Hollande a ainsi perdu sa «caution de gauche». Cette caution, cela fait longtemps que le président français l’a égarée, depuis qu’il a accepté la politique «austéritaire» de Berlin, quelques heures seulement après son investiture à l’Elysée. Toutefois, il est vrai que le départ de Christiane Taubira permet au président de disposer d’un gouvernement entièrement à sa main.
Présenté par les médias comme «l’homme de la police», le nouveau ministre de la Justice Jean-Jacques Urvoas appliquera d’autant plus volontiers la politique antiterroriste de l’exécutif, qu’il en a promu la plupart des textes lorsqu’il présidait, il y a quelques heures encore, la Commission des lois de l’Assemblée nationale. C’est notamment lui qui a conçu en grande partie la législation sur le renseignement dont il fut le rapporteur. Or, dans le contexte de la lutte contre le terrorisme, ces textes offrent aux services de renseignements des pouvoirs d’intrusion dans la vie privée qui leur étaient jusqu’alors interdits et qui paraissent dangereusement invasifs. De plus, Urvoas est un proche du premier ministre Valls dont il soutient la politique musclée.
Sa nomination signerait-elle le règne de la police au sommet de la justice ? Pas forcément. Tout d’abord, Jean-Jacques Urvoas est un juriste et un constitutionnaliste de haut niveau (maître de conférence à l’Université de Bretagne occidentale) ; les magistrats et lui parlent donc la même langue. Ensuite, il s’est montré sceptique quant à la poursuite de l’état d’urgence dont il a publiquement dénoncé l’ «essouflement» et critiqué son application lorsqu’elle a débordé le strict cadre de l’antiterrorisme. Enfin, lorsqu’un ministre de la Justice entre en exercice, il endosse la culture d’un puissant appareil qui s’est toujours opposé à ce que la police foule de ses bottes d’assaut le pré carré des juges. A ce niveau, la fonction change souvent l’homme.
L’axe social-libéral
Revenons au départ de Christiane Taubira qui confirme, une fois de plus, la mort du Parti socialiste français tel qu’il a été ressuscité par François Mitterrand lors du Congrès d’Epinay en 1971. La ligne social-libérale insufflée par François Hollande n’est plus compatible, non seulement avec la «gauche de la gauche», mais aussi avec une partie importante des élus et des adhérents – du moins ce qu’il en reste – du PS. En revanche, elle est conforme à celle défendue par le centre et une grande part de la droite. Il existe un axe, de facto, qui relie Emmanuel Macron et Manuel Valls (même si les deux hommes sont en concurrence) à François Bayrou, Jean-Pierre Raffarin et Alain Juppé.
Pour l’instant, cet axe n’aboutit pas à une coalition, exercice difficile (mais pas forcément impossible) dans les institutions de la Ve République. En cas de victoire d’Alain Juppé à la présidence de la République en 2017, cet axe peut fort bien se muer en un bloc social et libéral, voire une sorte de grand Parti républicain à l’américaine, alliant l’aile droite des socialistes, les centristes et une grande partie de l’ex-UMP.
La gauche, au sens traditionnel du terme, se trouverait alors en état de décomposition avancée, ce qui, paradoxalement, peut constituer une chance pour elle. En effet, la gauche n’a actuellement plus rien à dire. Elle n’a pas eu le courage et l’intelligence de dresser les constats de décès du communisme et de la social-démocratie. Or, sans cette nécessaire et fondamentale remise en question, il ne lui sera pas possible de revenir dans l’arène politique avec les armes idéologiques indispensables à un courant politique pour revendiquer le pouvoir.
La gauche authentique a donc aujourd’hui un urgent besoin de partir en cure d’opposition.
Jean-Noël Cuénod
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