La présidence Hollande et le gouvernement Valls, usant de leur babil ligneux, ont forgé un nouvel oxymore, l’urgence permanente. Si cette figure de style est appropriée au langage poétique, traduite en jargon politique, elle cache de périlleux projets sous un voile d’ambiguïté. Depuis les attentats de novembre, l’exécutif français cherche à pérenniser l’état d’urgence en l’inscrivant dans les lois et la Constitution. Nous sommes en guerre contre l’islamoterrorisme. Il faut donc s’adapter à la situation nouvelle. Peu importe, les fioritures juridiques. Les libertés individuelles passent au second plan. Sur ce train de mesures qui s’enfonce à tombeaux ouverts dans le tunnel, les professionnels de la polémique ont, une fois de plus, visé les mauvais wagons. Ils s’acharnent sur la déchéance de nationalité que François Hollande veut graver dans la Constitution. La nationalité française serait enlevée aux terroristes qui auraient retourné leurs armes contre leur propre pays.
Les socialistes sont particulièrement divisés sur cette question. Pour les uns, cette mesure ne concernerait que les binationaux, puisque les textes internationaux interdisent à un pays de créer des apatrides. Faux, rétorquent d’autres en s’appuyant sur le professeur de droit constitutionnel Michel Lascombe. La France a signé – mais non pas ratifié – les deux textes internationaux concernés (la Convention de l’ONU de 1961 et la Convention du Conseil de l’Europe de 1997). Ne les ayant pas ratifiées, l’Etat français n’a donc pas à les appliquer et pourrait enlever leur passeport au « mono-nationaux ». Mais l’aile qui bat le plus à gauche ne se soucie pas de ses nuances ; elle refuse toute déchéance de nationalité au nom de l’idéal républicain.
La droite est moins partagée et soutient, sans trop le clamer, la déchéance pour les binationaux. Mais de cette rive politique, des voix se sont élevées contre le projet, comme celles de Patrick Devedjian, Hervé Mariton et Benoît Apparu, tous élus LR peu suspects d’angélisme gauchiste. Il n’y a que l’extrême droite qui est unanime pour réclamer une déchéance de nationalité « appliquée plus largement » à en croire Florian Philippot. Appliquée à tous les binationaux, même innocents ?
Pour rendre encore plus embrouillé ce projet fumeux, des voix éparses tentent de remplacer la déchéance de nationalité par l’ « indignité nationale », une vieille disposition qui s’appliquait aux collabos de Vichy à la Libération. C’est dire si elle ne colle pas aux réalités du XXIe siècle.
Ils s’en tamponnent le kamis!
La vigueur de cette polémique est pour le moins exagérée. La déchéance de nationalité ne concernerait que des terroristes qui, de toute façon, ont brûlé leur passeport français. Quant à l’indignité nationale, ils s’en tamponnent le kamis. L’efficacité de ces mesures contre le terrorisme est donc à égale au zéro absolu.
Mais de là à crier à l’assassinat de la République, il y a un abîme. Après tout, la déchéance de nationalité est déjà prévue dans les lois actuelles à l’encontre de ceux qui sont devenus Français par naturalisation. On ne saurait dire que cette mesure a mis en péril la démocratie. D’autant plus que la gauche de la gauche avait proposé, naguère, le retrait du passeport français aux exilés fiscaux.
Ce tintamarre cache d’autres mesures gouvernementales qui, elles, sont autrement plus dangereuses pour l’Etat de droit et qui ne concernent pas qu’une poignée de terroristes mais pourraient atteindre chaque citoyen.
Le gouvernement socialiste envisage de rendre permanentes plusieurs mesures qui ne sont prévues qu’en état d’urgence. Certes, ces projets de lois ne sont pas tous à rejeter ; certains s’imposent même, compte tenu de la situation. Mais d’autres donnent au pouvoir politique et à la police des prérogatives dangereuses pour la liberté individuelle. Elles offrent aux représentants de l’Etat – préfets et procureurs – des pouvoirs exorbitants au regard des normes démocratiques et ce, au détriment des juges.
Ainsi, jusqu’à maintenant seul un juge – indépendant du gouvernement – avait le droit d’ordonner des perquisitions domiciliaires pendant la nuit. Désormais, un procureur – soumis au gouvernement – pourra procéder à ces perquisitions. L’exécutif invoque la sécurité et la rapidité pour expliquer cette mesure. Calembredaine ! Les juges peuvent faire des permanences de nuit tout comme les procureurs. C’est une question d’organisation interne au sein des juridictions qui n’a pas besoin d’être résolue par la loi.
De même, selon ces projets législatifs, les policiers pourront fouiller bagages et voitures s’ils ont « des raisons sérieuses de penser » qu’il pourrait y avoir, peut-être, un vague soupçon de terrorisme. Un conseil aux barbus : rasez-vous ! De même, les policiers auront le droit de contrôler l’identité de n’importe qui, n’importe quand, sans qu’il y ait la moindre présomption d’infraction. Conséquence : les contrôles au faciès vont se multiplier, ce qui ne manquera pas d’encourager les jeunes ainsi visés à écouter les semeurs de djihad d’une oreille complaisante.
Plus de pouvoirs à l’Etat, moins aux juges
D’une manière générale, ces dispositions augmentent les pouvoirs des agents du gouvernement – préfets, procureurs, policiers – au détriment des magistrats indépendants. Or, la France ne laisse à ces derniers qu’une part de plus en plus réduite et seuls les contre-pouvoirs sont à même d’endiguer la puissance de l’autorité politique. L’état d’urgence nous a montré que les représentants de l’Etat ne sont pas tous animés par le sens du bien commun, voir par le bon sens tout court. Souvenons-nous que les perquisitions et assignations à résidence permises par l’état d’urgence ont été trop souvent utilisées pour museler les militants écologistes pendant COP 21. Des « suspects » qui n’avaient pas le moindre lien avec le terrorisme.
Les islamoterroristes cherchent avant tout à abattre la démocratie et l’Etat de droit considérés comme œuvres impies. En transformant l’état d’urgence en Etat policier, nous leur facilitons le travail et leur donnons raison.
Tout détenteur d’un pouvoir ne résiste jamais longtemps à la tentation d’en abuser.
Jean-Noël Cuénod