Il fut l’incarnation la plus vivante, la plus truculente, la plus désespérée de la révolte, au siècle dernier: René Crevel, surréaliste inconnu ou plutôt devenu inconnu. Voilà un mort plus vivant que bien des cadavres qui s’agitent dans le marigot de ce XXIe siècle, à peine né et déjà pourrissant. Il faut relire cet écrivain par plaisir et pour secouer nos neurones en voie d’avachissement.
René Crevel a vécu dans un vortex de contradictions: mondain et révolutionnaire, surréaliste et admirateur des Lumières du XVIIIe siècle, matérialiste et passionné par les cartomanciennes, communiste (avec, puis sans carte) et amoureux fou de la liberté, bisexuel et ami d’André Breton qui avait en horreur l’amour charnel entre hommes.
L’éternel jeune homme
Crevel a concentré en 35 ans de vie (de 1900 à sa mort en 1935) tous les défis que la première catastrophe mondiale de 14-18 a fait naître. Dans ses Entretiens 1913-1952 (Idées/Gallimard), André Breton décrit celui qui restera un jeune homme pour l’éternité:
Crevel avec ce beau regard d’adolescent que nous gardent quelques photographies, les séductions qu’il exerce, les craintes et les bravades aussi promptes à s’éveiller en lui… à travers tout cela c’est l’angoisse qui domine. Il est d’ailleurs psychologiquement très complexe, contrecarré dans une sorte de frénésie qui le possède par son amour du XVIIIe et particulièrement de Diderot.
Auteur de poèmes, de romans, de pamphlet, René Crevel réunit souvent ces trois genres en une seule oeuvre. Le roman se mue en pamphlet traversé de poésie. Comme les dessins sur le corps d’une vipère qui changent d’aspects au fur et à mesure de ses mouvements reptatoires.
Le venin de la colère
Et c’est le venin de la colère que René Crevel plante de ses crochets dans les fesses grasses du conformisme sous toutes ses formes: politiques, culturelles, surtout ecclésiastiques et théologiques. Le blasphème est, pour lui, une forme d’hygiène mentale qu’il entretient par un exercice que l’on imagine quotidien.
Il prend la révolution bolchévique comme un épouvantail pour le brandir au nez de la bourgeoisie. Dans son essai le plus célèbre, Le Clavecin de Diderot, Crevel multiplie les références marxistes et léninistes tout en les englobant dans un mouvement plus général où la poésie en liberté a toujours le dernier mot.
Le compagnonnage avec André Breton
Il est entré en 1927 au Parti communiste français en même temps qu’André Breton et d’autres surréalistes comme Aragon. Crevel en est exclu en 1933, toujours avec Breton, la greffe entre surréalisme et bolchévisme n’ayant pas pris. Aragon, lui, restera vissé au Parti jusqu’à sa mort, la veille de Noël 1982.
André Breton s’était montré d’emblée réticent vis-à-vis de la discipline des camarades; très tôt, il a flairé l’odeur pestilentielle du stalinisme qui commençait alors à s’installer dans tous les appareils du communisme international.
Le réalisme stalinien
En 1934, Jdanov, l’âme damnée de Staline en matière de culture, impose sa doctrine du « réalisme socialiste » totalement incompatible avec la libre approche de l’esprit humain développée par le surréalisme.
René Crevel vivra ce divorce de façon déchirante. Malgré tout, il reste fidèle à son engagement communiste, même sans carte. S’il prend ses distances avec la façon dont Breton dirige le mouvement surréaliste, Crevel reste fidèle en amitié avec l’auteur de Nadja.
Le déchirement
Taraudé par la tuberculose, obsédé par la mort et par le suicide de son père lorsqu’il avait 14 ans, écartelé par la rupture entre André Breton et les communistes qui éclate publiquement le 16 juin 1935 à l’occasion du Congrès international des écrivains pour la défense de la culture, René Crevel se donne la mort dans la nuit du 17 au 18 juin 1935. Il venait de recevoir le mauvais résultat de ses analyses qui annonçaient la progression de la tuberculose au niveau des reins.
Un oiseau dans le cerveau
Pour terminer, ce poème de René Crevel, extrait de Frisson:
Un oiseau dans mon cerveau
un oiseau sans voix
plumes battantes à la fois
un oiseau qui n’a pas volé
un oiseau qui n’a pas chanté
apte au seul frisson de l’inutilité.
Jean-Noël Cuénod
Post-scriptum
Le professeur des Universités Jean-Michel Devésa a donné samedi 11 février son exposé « René Crevel, le surréaliste inconnu » dans le contexte des conférences musicales « au coin du feu » au château de Beaurecueil-Forge de la Poésie, sis 116 impasse de Beaurecueil à Saint-Sulpice-de-Mareuil dans le Périgord Vert. La violoncelliste Jocelyne Reydy lui a donné la réplique musicale avec un subtil à-propos.
Cet après-midi a fait salon plein avec émotion de même.
Cher Jean-Noël, Bravo pour ce programme de grande qualité sur tous les plans !
Un éclairage indispensable sur cet auteur, sans concession, sans compromission.
Marie
Cher jean-Noël,
Bravo et merci pour la qualité de cette conférence au coin du feu, qui nous offre l’indispensable éclairage sur René Crevel. Auteur injustement effacé. Auteur sans concession, sans compromission !
Marie