Criminalité, théâtre documentaire et catharsis

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De gauche à droite: Manon Guillemin, Dany-Aude Rossel, Mihai Fusu et Elsa Briongos ©Arnaud Gały

La réouverture des théâtres n’est pas seulement une vanne ouverte aux plaisirs, à l’instar des bars, terrasses, restaurants et autres lieux de la convivialité heureuse. Elle permet enfin à la scène de remplir son rôle essentiel au sein de la société : la catharsis. C’est plus particulièrement le théâtre documentaire qui se place en première ligne pour purger les passions sociales.

Jeudi dernier, Salle Alcide-Dusolier, au Château Beaurecueil-Forge de la Poésie (Mareuil-en-Périgord), des comédiens moldaves et français ont expliqué leurs démarches : Mihai Fusu, Manon Guillemin et Elsa Briongos ainsi que la traductrice franco-suisse Danny-Aude Rossel et l’artiste-peintre Nelly Vranceanu. Démarches qui sont partagées par nombre de comédiens qui mettent les mains dans le terreau du réel pour y extirper quelques pépites de conscience.

Mihai Fusu est en Moldavie ­— ainsi que dans d’autres pays comme la France et la Suisse – l’un des représentants les plus emblématiques du théâtre documentaire. Comédien mais aussi metteur en scène et pédagogue, Fusu a notamment œuvré dans un pénitencier moldave réservé aux condamnés à perpétuité pour crimes de sang, afin de former des détenus à jouer Hamlet de Shakespeare. Une vidéo sur cette poignante expérience a illustré le propos du metteur en scène-comédien à la Salle Alcide-Dusolier.

Hommes coupables parmi d’autres hommes coupables

Les détenus se sont aussitôt identifiés aux personnages de cette pièce traversée de sang, de colère, de désir de vengeance, qui n’est pas loin du désir tout court. Ils n’étaient donc pas que des prisonniers oubliés dans un cul-de-basse-fosse moldave dans des conditions indignes, mais des hommes coupables parmi d’autres hommes coupables sur la scène de l’humanité à perpétuité.

Mihai Fusu et son équipe se sont également attaqués à ce fléau qui reste tabou : la pédocriminalité. A la manière d’une enquête journalistique, ils ont interviewé des policiers, procureurs, victimes et pédocriminels, pour réunir et recouper les faits. Puis, ils les ont enchâssés dans un récit théâtral pour en présenter la substantifique moelle.

D’un patchwork de faits, Fusu et les siens ont tissé une vaste tapisserie – où les actes pédocriminels apparaissent de façon cohérente – animée par des personnages qui sont la synthèse des personnes rencontrées lors des enquêtes. Ils forment ainsi des archétypes qui en disent plus long sur la vérité qu’une masse informe de faits bruts.

La catharsis, une nécessité vitale

Ce faisant, ce théâtre documentaire remonte aux origines du théâtre grec qui provoquait au sein de la société cette catharsis qui lui est vitale (pour approfondir, lire cet article de la revue Recherches en psychanalyse). La « purgation des passions » – définition classique du mot « catharsis » – permet d’extirper les magmas d’ombres qui embourbent la société et de les projeter vers le public en suivant le processus précis de la dramaturgie. Ces magmas sont ainsi placés sous la lumière crue de la conscience collective.

Mais pas n’importe comment, non pas « à la sauvage », comme dans les rézosocieux, ce qui aurait pour effet de nous aveugler, de nous assommer d’images et de propos incohérents nous interdisant toute compréhension des rouages complexes de la société.

Par l’emploi, quasiment rituélique, de la grammaire dramaturgique, ce calamiteux travers nous est épargné et c’est une vision plus lucide et intelligente de notre monde qui peut être ainsi obtenue.

Le théâtre est bien plus que le théâtre.

Jean-Noël Cuénod

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