Happy days are here again / The skies above are here again / So, let’s sing a song of cheer again / Happy days are here again. Peut-être s’est-il trouvé outre-Atlantique quelques vieux militants démocrates pour fredonner ce refrain lorsque la moins mauvaise nouvelle fut annoncée : Moumoute Jaune a mordu cette poussière d’où il n’aurait jamais dû être extirpé.
Le Plouc allait le chantonner à son tour, lorsque l’hymne officieux du Parti démocrate est resté bloqué dans sa gorge : non, les jours heureux ne seront pas de retour. Sentiment tenace comme du chiendent que le pire a plus été retardé qu’évité.
Les raisons de ne pas entonner l’entraînante ritournelle sont nombreuses. Tout d’abord, Joseph Robinette Biden n’est pas Franklin Delano Roosevelt. C’est pour lancer sa première campagne électorale en 1932 que FDR avait choisi cette chanson comme rampe de lancement à tous ses discours.
Ecrite en 1929 par Milton Ager (musique) et Jack Yellen (parole), elle figurait dans le film Chasing Rainbows mis en scène par Charles Reisner. Happy days are here again collait parfaitement au programme de Roosevelt pour sortir les Etats-Unis de la Grande Dépression provoquée par la crise économique de 1929. Il s’agissait pour lui de galvaniser les foules et les électeurs pour les convaincre que les jours heureux allaient revenir grâce à sa politique d’investissements publics, de grands travaux, de soutien aux plus démunis et de régulation du secteur bancaire, popularisée par l’appellation New Deal.
Happy days are beer again !
Une autre réforme rooseveltienne était très attendue : la fin de la prohibition de l’alcool. D’où le détournement publicitaire et journalistique de la chanson en Happy days are beer again !
Aujourd’hui, le contexte n’a plus rien à voir. La majorité des électeurs ne s’est pas prononcée pour un projet porteur d’espoirs mais contre un président qui a fait la honte de son pays. Biden ne mobilise pas les Etatsuniens pour se lancer vers de nouvelles conquêtes sociales mais pour les protéger contre la contamination au Covid-19. Ce n’est plus « soyez audacieux ! ». C’est « soyez prudents ». Pas de quoi en faire une chanson.
Il y a un autre motif de ne pas entonner « les jours heureux » qui ne concerne pas que les seuls Etatsuniens. Pour tenter de parer à l’actuelle pandémie, la plupart des politiques ont cherché à protéger les personnes âgées au détriment de l’économie et des jeunes, par l’interdiction des fêtes, des spectacles vivants et d’une grande partie de la pratique sportive.
Faisant partie des vieux, je pose cette question à mes contemporains : lorsque nous avions 20 ans et prenions nos désirs pour des réalités, aurions-nous supporté ce que nous faisons subir aujourd’hui à nos enfants et petits-enfants ? Jamais de la vie ! Nous aurions fait un gigantesque bras d’honneur à tous les « croulants » (pour reprendre une expression d’époque) en multipliant manifs et actes de rébellion.
Nous avions pour nous, le nombre, celui du Baby-Boom. Impression de puissance d’une jeunesse qui envahissait les rues, faisait craquer les murs des écoles, commençait à développer ses propres médias, sa propre économie et s’imposait face à des parents qui ne comprenaient plus rien à cet univers qui leur échappait en devenant nôtre. Alors des restrictions ? Pas question !
En comparaison, la génération actuelle, nettement moins nombreuse, paraît d’une angélique sagesse.
Du Baby-Boom au Papy-Boom
Une autre tendance de fond se surajoute : le vieillissement des populations. Non seulement la génération du Baby-Boom, devenue celle du Papy-Boom, est abondante mais encore la voilà qui vit plus longtemps ! Et que les candidats à la Maison-Blanche fassent tout deux partie du gang des septuagénaires reste dans le désordre établi des choses.
Ce monde dominé par les vieux recèle une autre raison de rengainer les « Happy days ». Pour mobiliser en vue de ce retour des jours heureux, il faut qu’une certaine illusion temporaire soit partagée par un grand nombre de citoyens. Or, avec l’âge, chacun peut constater qu’après le retour des jours heureux, la roue se fixera inexorablement sur la case « jours malheureux ». Comment se mobiliser dans ces conditions ?
L’emploi du mot « illusion » n’est, dans ce contexte, aucunement dépréciatif. L’illusion peut mener ceux qui en sont les victimes à l’errance, voire à la catastrophe. Mais prise dans un sens constructif, positif, elle permet aussi de se dépasser et d’atteindre des objectifs qui semblaient hors de notre portée. Il faut une certaine illusion pour que la société avance, sinon elle stagne dans la déprime collective.
La lucidité des vieux peut se révéler utile au service des jeunes. Pour qu’ils deviennent les maîtres et non les prisonniers de cette illusion mobilisatrice qui devrait les pousser à agir afin qu’advienne le retour des jours heureux. Encore faut-il qu’ils puissent le faire dans ce monde de fauves gris.
Jean-Noël Cuénod
ESPACE VIDEO
Happy days are here again chanté par Annette Anshaw en 1930.