Trump a-t-il déjà intériorisé sa défaite le 3 novembre et prépare-t-il le coup d’après ? En apparence, il se tire une balle dans le pied par jour. Il y a mieux pour mettre en jambe sa campagne. Le candidat à sa réélection se comporte comme s’il ne s’agissait pas pour lui de gagner des suffrages mais de chauffer à blanc ses partisans afin de passer du local de vote aux combats de rue.
Sur tous les sujets, Donald Trump se contredit. A propos de son état de santé, on passe des déclarations bravaches (« Je me sens mieux qu’il y a vingt ans ! ») aux rumeurs inquiétantes qui suintent de son entourage. Sur la politique sanitaire (mais peut-on encore utiliser de tels mots dans le contexte trumpien ?), l’encore président a dit tout, son contraire et même les deux simultanément. De quoi semer la panique chez les personnes âgées où Trump puise pourtant une large part de son vivier électoral.
Se mettre à dos les seniors
Conséquence : le candidat républicain est en spectaculaire perte de vitesse chez les seniors. Un sondage mené entre le 1eret le 4 octobre par la chaîne CNN et SSRS (laboratoire indépendant de recherches sociales et politiques) estime que Biden l’emporte sur Trump à 60% contre 39%. Certes, les sondages ne sont qu’une indication parmi d’autres, compte tenu du processus électoral très particulier. Néanmoins, en 2016, Donald Trump l’avait nettement emporté auprès des tranches d’âge les plus élevées.
Se mettre à dos les femmes
Le candidat républicain était à la traîne auprès des électrices depuis plusieurs mois. Plutôt que de tout tenter pour reconquérir au moins une partie de l’électorat féminin, comme il l’avait fait contre Hillary Clinton, Moumoute Jaune se met à insulter la populaire candidate démocrate à la vice-présidence, Kamala Harris, en la traitant deux fois de « monstre ». Alors que les organisations de défense des femmes sont sur le pied de guerre, voilà de quoi les mobiliser encore plus et convaincre à prendre leur bulletin de vote celles qui hésitaient encore, notamment les Afro-Américaines et les Hispaniques.
Se mettre à dos les entreprises et les salariés
Sur le plan économique, dont Trump faisait son point fort, même schéma. Le président et le Congrès devaient négocier un nouveau plan de soutien à l’économie malade du Covid-19. Or, sans crier gare, l’impétueux Donald interrompt les négociations : plus de plan de relance. Et Wall Street plonge.
Donald Trump agit comme s’il ne voulait recevoir les suffrages que de son socle électoral (à peu près 35%) composé de fidèles totalement inféodés à sa personne. Or, sans élargissement de ce socle, la victoire relèverait du miracle.
L’inquiétant appel de Trump
Alors que cherche Trump en agissant de la sorte ? Suppose-t-il qu’en créant le chaos, il va convaincre la bourgeoisie blanche de voter massivement en sa faveur ? Cet électorat risque plutôt de porter ses suffrages sur Joe Biden qui paraît beaucoup plus rassurant.
Le président serait-il à ce point cinglé qu’il ferait n’importe quoi, poussé par cet hubris qui le caractérise ? On ne saurait écarter cette hypothèse. Mais si Moumoute Jaune est dépourvu de tout scrupule, il n’est pas fou pour autant.
Lors de son « débat » – le mot est trop noble pour qualifier cette chose pleine de télébruits – avec son ennemi démocrate, Donald Trump a réitéré sa contestation des futurs résultats de l’élection présidentielle. Comme si sa défaite était jouée d’avance et les dés électoraux, pipés par une main aussi scélérate que démocrate. Peu après, le candidat républicain a lancé cet inquiétant appel à l’un des nombreux groupes d’extrême-droite, les Proud Boys, qui lui sont particulièrement attachés: « prenez du recul et tenez-vous prêt » (cf vidéo ci-dessous)
Se tenir prêt à quoi ? A se lancer dans des opérations radicales sitôt la défaite de Trump annoncée ? Ne sont-ce là que feux de bouche sans conséquence ? Dans l’actuel contexte de violence qui règne aux Etats-Unis, la réponse est forcément négative. Selon l’association SPLC (Southern Poverty Law Center) qui recense les mouvements néo-fascistes et assimilés, quelque 900 groupes d’extrême-droite sévissent aux Etats-Unis ; la plupart d’entre eux sont armés comme l’autorise la législation américaine. En outre, le nombre de suprémacistes blancs est estimés à 100 000 personnes.
Les Etats-Unis en situation « pré-insurrectionnelle »
Selon l’un des meilleurs experts en matière d’insurrection, l’Australien David Kilcullen estime que les Etats-Unis se trouvent en situation « pré-insurrectionnelle » (on peut lire ici l’article que Slate lui a consacré). Il rappelle la définition officielle de l’insurrection aux Etats-Unis : L’utilisation organisée de la subversion et de la violence afin de s’emparer du pouvoir politique, de le supprimer ou de le compromettre.
Certes, le pire n’est jamais certain. Mais compte tenu de ses agissements et de sa stratégie d’apparence suicidaire, on ne saurait écarter d’emblée l’hypothèse d’un Trump qui se verrait porté de nouveau au pouvoir par une vague de violence insurrectionnelle post-électorale.
Toutefois un gros bémol à ce scénario du pire : les institutions des Etats-Unis – rôdées par une grande guerre civile, deux conflits mondiaux et de multiples crises – ont démontré leur solidité et leur pérennité. Grâce à elles, cet immense pays né dans la violence a réussi à surmonter l’adversité. Jusqu’à maintenant.
Jean-Noël Cuénod
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Ping : Trump ou Biden, le «siècle américain» est bien mort - Jean-Noël CuénodJean-Noël Cuénod