« Peuples d’Europe, vous pouvez voter ce que vous voulez, votre suffrage ne pèse pas plus lourd qu’une flatulence de musaraigne ». Voilà le message que l’Union européenne et sa zone euro, sous la direction de l’Allemagne, viennent d’envoyer en forçant le gouvernement grec à signer sa reddition. L’ « accord » qui permet à la Grèce de rester dans la zone euro n’en est pas un. Il s’agit, ni plus ni moins, d’une capitulation sans condition et sous contraintes.
Les Grecs avaient clairement, et à plusieurs reprises, signifié leur refus de continuer à subir des mesures d’austérité qui, pendant cinq ans, n’ont fait qu’aggraver la crise économique sans permettre de dégonfler l’énorme dette publique de leur pays (317 milliards d’euros à la fin de 2014, soit 171,3% du Produit Intérieur Brut). Une élection et un référendum n’ont donc eu aucun effet. L’important était de sauver les institutions créancières qui veulent bien engranger des bénéfices mais sans en payer les risques. Devant cet impératif financier la voix du peuple est inaudible.
A cet égard, l’Allemagne s’est montrée intraitable, menant une véritable guerre contre le gouvernement Tsipras. Berlin ne voulait pas d’un gouvernement anti-austérité en Grèce qui aurait pu donner de mauvaises idées à d’autres pays. Il fallait donc l’abattre. Que l’Epicière berlinoise nomme elle-même les membres de l’exécutif grec, ce serait moins hypocrite.
L’Europe a peut-être évité – pour combien de temps ? – le Grexit. Mais elle n’a pas échappé au Démocrexit, c’est-à-dire la sortie de la démocratie en Grèce. Selon les termes de la capitulation, Athènes « doit consulter les institutions créancières et convenir avec elles de tout projet législatif dans les domaines concernés dans un délai approprié, avant de le soumettre à la consultation publique ou au parlement ». En d’autres termes, la Commission européenne, la Banque centrale européenne (BCE) et le Fonds monétaire international (FMI) vont se substituer au peuple et à ses représentants pour les principales décisions. On leur laissera, peut-être, le soin de choisir la couleur de leurs chaînes. Dès lors, à quoi peut servir l’urne électorale dans le pays qui a inventé la démocratie ?
Le premier ministre grec Tsipras a dû céder, car une sortie de l’euro aurait eu des conséquences cataclysmiques pour la Grèce. La BCE menaçait d’assécher du jour au lendemain les banques grecques. Le gouvernement Tsipras n’ayant pas le temps d’imprimer une nouvelle monnaie, il n’avait donc pas d’autres choix que de se soumettre au diktat de Berlin.
Que les Grecs portent une part de responsabilité dans ce qui leur arrive, c’est un fait. Que Tsipras n’ait pas compris les rouages de la diplomatie européenne par manque d’expérience, en est un autre. Mais que dire de l’attitude des instances européennes ? L’homme qui, aujourd’hui, a la main sur le robinet des finances à la Grèce – le patron de la BCE Mario Draghi – a joué un rôle pour le moins trouble dans le maquillage des comptes qui a permis à ce pays de rester dans l’euro il y a une dizaine d’années.
En 2000, la Banque Goldman Sachs vend au gouvernement grec un produit financier « swap » qui permet d’inscrire une partie de sa dette publique hors bilan et de la faire ainsi disparaître provisoirement, le temps de présenter un bilan financier qui a permis à la Grèce d’entrer dans la zone euro. Certes, Mario Draghi n’a été engagé chez Goldman Sachs qu’en 2002, soit deux ans après la vente du « swap » et, lors de son audition devant les députés européens avant d’être nommé à la tête de la BCE, il a affirmé n’avoir travaillé qu’avec le secteur privé. Pourtant, le titre qu’il portait chez Goldman Sachs contredit cette assertion : « vice-président pour l’Europe-Goldman Sachs International, entreprises et dette souveraine ». S’occupant de la dette souveraine en Europe, il est difficile de croire que Draghi n’avait pas au moins supervisé les développements du contrat entre sa banque et la Grèce, même s’il en n’était pas l’initiateur.
De même, l’Allemagne qui donne des leçons de vertu à la Grèce, ne se vante pas d’avoir mis la main dans une grave affaire de corruption. En 2010, plusieurs cadres de la société allemande Ferrostaal, filiale du groupe MAN, avaient, selon leblogfinance.com, « avoué avoir distribué au total 60 millions d’euros à des intermédiaires grecs dont l’ancien ministre de la défense ». La justice de Munich a condamné Ferrostaal à une amende de 140 millions d’euros.
Autrement dit, les Allemands qui sont les plus décidés à bouter les Grecs hors de l’Europe n’ont pas été les moins prompts à les corrompre.
D’ailleurs, la Grèce fut longtemps une très bonne affaire pour les marchands de canons, son armée étant suréquipée en raison des tensions récurentes avec la Turquie. Dans ce contexte, l’Allemagne a été, il y a une dizaine d’années. le deuxième plus important fournisseur d’armes de la Grèce, après les Etats-Unis. Dès lors, on comprend mieux pourquoi Berlin et les autres pays se sont montrés peu regardant pour accueillir Athènes dans la zone euro.
L’Allemagne et ses alliés auraient pu considérer, au vu des torts partagés, qu’il convenait d’aider les Grecs à surmonter cette dette colossale. Ils ont préféré les humilier en les privant, de fait, de leur pouvoir.
Le pire est que ce prétendu « accord » ne résoud en aucun cas la question fondamentale de la dette. Il risque fort de déstabiliser le gouvernement Tsipras et de provoquer des troubles sociaux de forte intensité. Or, cette situation ne peut que satisfaire les néonazis d’Aube dorée – troisième force politique du pays – toujours prompts à canaliser à leur profit la colère populaire.
Ailleurs qu’en Grèce, ce déni de démocratie, cette Union qui n’a pour ambition que de servir au plus près les exigences du capitalisme financier, ne font que donner des arguments supplémentaires aux partis de l’extrême droite nationaliste.
L’Europe à l’heure allemande est complètement déréglée.
Jean-Noël Cuénod