COVID19 et sa contamination ont remis la mort au milieu de notre village de plus en plus virtuel. Ne pouvoir assister aux obsèques des êtres chers, ou alors avec des restrictions telles qu’elles sont réduites en frustrantes cérémonies à la sauvette, a cruellement rappelé à quel point nous sommes désarmés face à l’inéluctable. Nous manquons de savoir-mourir.
La mort, c’est le grand tabou de notre société médiamercantile, l’insolent rappel que la poursuite effrénée des petites jouissances consommatrices et des grands profits financiers a une fin. Cette empêcheuse de s’aliéner en rond est donc jetée hors de la conscience collective.
Or, une société qui nie la mort est une société malade. Elle refoule cette énergie qui fait partie intégrante de la nature et qui tend à la destruction puis à la re-création. Elle vit dans l’oubli de la fin, comme s’il n’y avait qu’un début. Comment bâtir quoique ce soit de stable sur la perte volontaire de mémoire ?
La société médiamercantile se caractérise, entre autres, par la mise à sac des solidarités, l’éclatement des structures collectives traditionnelles en une myriade d’individus producteurs-consommateurs qui s’accrochent aux branches des réseaux sociaux pour tenter de maintenir un succédané de lien collectif. Branches vermoulues : ces réseaux sociaux sont aussi éphémères qu’un clic de souris et se basent sur les fausses affinités des algorithmes. Les obsèques restaient l’un des rares moments où nous pouvions communier ensemble dans le souvenir du défunt perçu comme un dénominateur commun. Voilà qu’en raison des mesures de confinement, cet espace de convivialité nous est interdit, sinon strictement, tristement, mesuré.
Apprivoiser l’ombre
Plus que jamais, nous voilà seuls face à la mort. Comme rien ne nous y a préparé, nous devons l’affronter dans la nudité de l’angoisse, sans mode d’emploi pour l’apprivoiser. Vers qui se tourner ? Les religions ? Conformément à leur étymologie, elles assuraient jadis ce lien entre le ciel et la terre, la vie et la mort et les humains entre eux dans la communion avec ce qui les dépasse.
Aujourd’hui, elles sont surtout perçues comme des « marqueurs identitaires » qui, souvent, ont transformé les lieux de culte en donjons communautaristes. C’est-à-dire le contraire d’une « religion » au sens premier du terme. Les institutions confessionnelles tentent encore de tenir leur rôle dans le partage du deuil. Toutefois, depuis plusieurs décennies, la sécularisation de la société, la diversité des appartenances religieuses, la place toujours plus importante prise par les agnostiques et les athées ont réduit comme peau de chagrin la place du confessionnel, même lors des obsèques. Les funérailles civiques ne sont pas parvenues à occuper cette place laissée vide par les institutions dites « religieuses » et les obsèques « à la carte » ne peuvent pas remplir ce rôle par la nature individualiste de leur démarche.
Ce qui nous dépasse
Ce moment où nous nous trouvons dans l’incapacité de partager physiquement le deuil devrait être mis à profit pour concevoir une autre façon de faire lien lorsque celui-ci est rompu par la mort. Dans une société aussi morcelée, cette mission paraît impossible. Et pourtant, si la mort, justement, n’offrait-elle pas l’occasion unique de relever ce défi ? C’est le rare moment, le seul peut-être, où nous sommes confrontés avec « ce qui nous dépasse ». Athées, agnostiques, catholiques, musulmans, juifs, protestants, orthodoxes, bouddhistes, hindouistes, animistes… La mort nous dépasse tous. En partant de ce constat, nous pourrions songer à un moment liturgique non-confessionnel, partageable par tous, qui pourrait réunir toutes les croyances et incroyances pour rendre hommage à un être cher et à la vie. Car c’est elle qu’il convient de célébrer. Et de célébrer ensemble.
Jean-Noël Cuénod
Nous sommes au seuil d’une conscience d’ensemble. Parmi tous les changements qui vont s’opérer, la célébration de la vie Une en sera un pilier central. Merci cher Jean-Noël de l’avoir rappelé.