Après la trahison des Kurdes et le feuilleton égrenant la procédure d’ empeachment, la mort d’Abou Bakr al-Baghdadi est tombée à pic pour Trump qui s’est aussitôt attribué la gloire de cette opération militaire. Incontestable succès. Qui ne changera rien. Comme l’exécution de Ben Laden – utilisée par Obama avec plus de finesse mais non moins de roublardise – n’avait pas tari l’islamoterrorisme.Depuis qu’ils ont semé le désordre au Moyen-Orient lors de la plus stupide aventure militaire de leur histoire menée en Irak, les dirigeants américains continuent à se montrer incapables de comprendre l’idéologie islamiste. Ils s’acharnent à croire qu’en liquidant la tête, c’est tout le corps terroriste qui va s’effondrer. Or, les expériences passées ont démontré que, loin de tomber, ce corps retrouve aussitôt une nouvelle tête et, tout ragaillardi, se met à barouder de plus belle (ou de plus laide). L’organisation « franchisée » et décentralisée des groupes djihadistes leur permet de se reconstruire rapidement après chaque exécution de chefs. D’ailleurs, coincé dans son trou de Bachira en Syrie, Abou Bakr al-Baghdadi ne devait plus diriger grand-chose en direct. Sa mort et même celle, annoncée par Trump, de son supposé « remplaçant » risquent fort de n’être qu’une péripétie vite oubliée. Pour l’islamisme, feu le Calife est plus utile mort que vivant.
Les locataires de la Maison Blanche peuvent bien disposer d’agences de renseignement pléthoriques, d’analystes sortis des plus brillantes universités, de petits et grands génies de l’informatique utilisant les outils les plus performants de la planète, rien n’y fait. Cancres ils furent. Cancres ils restent. A quoi sert donc cette armada d’encéphales et de logiciels ? A créer de la fumée ?
La Maison Blanche ne voit que midi (électoral) à sa porte
A leur décharge, formons l’hypothèse que les mages, aruspices et autres devins du Renseignement des Etats-Unis déposent sur le Bureau Ovale de pertinentes analyses, de fines approches, de véridiques informations, mais que les présidents les consultent en diagonale avant classement vertical. Ils ne voient que midi à leur porte. Et ce midi-là carillonne uniquement l’heure des campagnes électorales. Alors, on survend l’exécution d’une star de l’islamoterrorisme et ça fait bander – métaphore hardie et contestable sur le plan purement physiologique – son socle d’électeurs. Peu importent les conséquences sur la région concernée.
Un excellent article du journaliste français Renaud Girard paru dans Le Figaro (on peut le lire ici : https://www.lefigaro.fr/vox/societe/renaud-girard-de-defaite-en-defaite-l-islamisme-progresse-20191028 ) démontre que les défaites de l’islamisme ne changent pas fondamentalement la donne dans les pays arabo-musulmans. Nous n’avons rien à ajouter à ce chapitre. Mais qu’en est-il des islamistes radicaux chez nous ? Quel sera l’impact de cette exécution annoncée à grand son de Trump ?
Qui croit encore Trump ?
Difficile de se glisser à l’intérieur de leurs crânes mais on peut se douter que désormais Abou Bakr al-Baghdadi est devenu une étoile de plus dans le firmament islamiste. Une étoile que sa mort rend encore plus brillante. Pour tenter de la ternir, le président américain a prétendu que le pseudo-Calife de Daesh était mort « en criant, en pleurant, en gémissant ». C’est tout juste s’il n’appelait pas sa maman au secours. Quelle piètre image pour un fier et intrépide combattant du Prophète !
Seulement voilà, plus personne ne croit Trump, l’auteur des « faits alternatifs », pas même son propre Pentagone qui n’a pas repris cette « information » dans ses communiqués. Et voilà maintenant la presse américaine expliquant que Trump n’a pas pu assister aux derniers moments du chef djihadiste. Donc pour un islamiste radical européen, cette trumperie démontre qu’au contraire Abou Bakr al-Baghdadi a dû se battre tel un lion de l’islam et qu’il a rendu son dernier soupir dans la gloire du Djihad, sinon le président n’aurait pas inventé cette histoire de sanglots djihadistes pour le discréditer. Trump dit « noir ». Les islamistes entendent « blanc ».
La place centrale de la mort dans l’idéologie islamiste
Les dirigeants américains ne parviennent pas à saisir la place centrale – vitale ! – qu’occupe la mort dans l’idéologie islamiste, comme d’ailleurs dans d’autres idéologies totalitaires qui ne relèvent pas de l’islam[1]. Un chef est sanctifié par la mort. Il est le modèle absolu à suivre. La force de cet endoctrinement est qu’en glorifiant la mort, il donne enfin un sens à de jeunes existences jusqu’alors ressenties comme vides et vaines. La mort donne des couleurs aux mornes murs des cités ou des villages. Elle est d’autant plus séduisante qu’elle a la grâce des ombres lointaines pour un ado qui erre dans son mal de vivre.
Peu importent les défaites militaires et les exécutions ciblées. L’islamoterrorisme se nourrit de ses échecs dans la mesure où loin de l’abattre, ils ne font que renforcer son idéologie.
Tant que nous n’aurons pas arraché ces jeunes, nos jeunes, à cette fascination mortifère, le djihadisme persistera.
Jean-Noël Cuénod
[1] Rappelons le cri de ralliement des franquistes : Viva la muerte !