Que Sepp Blatter soit ou non poursuivi par la justice est une chose, qui ne peut n’être réglée que par les magistrats suisses et américains. Mais qu’il soit responsable du système FIFA tissé d’opacité, de petits arrangements et de gros cadeaux en est une autre qui ne relève pas de la présomption d’innocence. Quasi octogénaire, Sepp Blatter est devenu l’emblème d’une Suisse écartelée entre deux éléments irréconciliables.
D’une part, il y a dans les peuples de ce pays une véritable répulsion pour tout ce qui touche à la corruption à l’intérieur de ses frontières. En France, il arrive souvent que des politiciens condamnés à la suite de magouilles soient réélus. En Suisse, c’est impensable. Le moindre ennui judiciaire provoque la condamnation à mort politique. Ce qui explique, entre autres, que la Suisse obtient le cinquième rang sur 175 pays au classement international de l’indice de perception de la corruption alors que la France n’obtient que la 26ème place.
D’autre part, cette corruption que les Suisses rejettent pour eux-mêmes, ils l’ont trop longtemps acceptée pour les autres. Ainsi, des flots d’argent issus des régimes les plus vermoulus ont-ils été déversés dans les banques helvètes. Pas de corruption chez nous. Mais bienvenue à ses fruits juteux, pourvu qu’ils viennent d’ailleurs. Ainsi, nous autres Suisses gagnions sur tous les tableaux: un pays qui fonctionne bien puisque la corruption ne vient pas altérer son développement ; et un pays qui accueille les fonds de la corruption étrangère.
Devenu secrétaire général de la FIFA en 1981, puis son président dès 1998, le Suisse Sepp Blatter a, jusqu’à maintenant et à nouvel ordre, échappé aux nombreuses accusations de corruption qui sont apparues depuis une quinzaine d’années. Il n’en demeure pas moins qu’il ne saurait s’abstraire de ses responsabilités, au moins morales, en tant que dirigeant du foot mondial depuis 34 ans. Il est devenu l’emblème de ce double langage helvétique : pourquoi s’en faire puisque cette corruption footballistique exerce ses ravages dans des pays plus ou moins exotiques et non chez nous?
Mais voilà, cette Suisse-là est devenue obsolète. Le monde n’a plus besoin de son secret bancaire et ne supporte plus les paradis fiscaux, après les crises financières. D’ailleurs, Berne vient de signer avec l’OCDE[1] l’accord d’échange automatique d’informations fiscales. Certes, les fraudes à l’impôt ne seront pas supprimées pour autant, mais la Confédération n’y tiendra plus le rôle pivot. Une autre Suisse va se dessiner. On en ignore encore les traits. Ce que l’on sait, en revanche, c’est que Sepp Blatter est devenu l’un de ces dinosaures que, désormais, son pays rejette.
Jean-Noël Cuénod
[1] Organisation pour la coopération et le développement économique