L’islamoterrorisme a frappé au Sinaï « le cœur de l’islam » en massacrant 305 personnes dans la mosquée al-Rawda, dédiée au soufisme. «Le cœur de l’islam » c’est ainsi que l’on appelle ce courant initiatique et ésotérique. Le Soufisme, persécuté par les tyrans du salafisme, comme le fut la Maçonnerie sous les dictatures européennes. Que les francs-maçons n’oublient pas ces frères en initiation.Même si Daech n’a pas encore revendiqué ce carnage, il en porte la marque. Le soufisme est perçu par l’Etat Islamique comme l’un de ses pires ennemis, car se tenant à l’intérieur de l’islam. Ce faisant, les islamoterroristes ne font que mettre en actes l’idéologie salafiste qui a toujours mené contre l’islam ésotérique une guerre implacable. Il est difficile de donner une définition générale du soufisme qui inspire de nombreuses tarîqat (voies) fort différentes les unes des autres en fonction du maître (Cheikh) qui les a créées. Par ce lien, l’influence spirituelle, cette étincelle divine, se transmet de maître à disciple par une chaîne de transmission initiatique (silsila). Il s’agit pour l’initié de « goûter » Dieu, de s’efforcer à se purifier pour atteindre l’Unicité, la fusion dans le Divin. Cette conception n’est pas si éloignée de la doctrine de la Réintégration étudiée par un des rites maçonniques, le Régime Ecossais Rectifié.
Pour parvenir à cet état – Dieu sait si le chemin est long ! – le soufi doit pratiquer un ensemble de prières, de méditations, de rituels, d’incantation et de discipline de vie. Mais il doit aussi percevoir les vérités cachées du Coran. Cette volonté de placer au premier plan l’esprit du livre sacré de l’islam plutôt que la lettre, de le questionner, d’en tirer la substantifique moelle, a suscité la colère des musulmans intégristes soucieux de diffuser la lecture exclusivement littérale du Coran : nul besoin de réfléchir, il faut se contenter d’apprendre les sourates par cœur.
Cette liberté de chercher Dieu hors des sentiers battus reste insupportable aux intégristes de toutes les époques. Le premier martyr du soufisme est Ibn Mansour al-Halladj qui fut crucifié en 922 à Bagdad, d’autres ont suivi. L’un des plus récents a pour figure celle du chanteur pakistanais Amjad Sabri, assassiné par des talibans en raison de son appartenance au soufisme et de ses « blasphèmes ».
En mai 2016 à Mostaganem en Algérie, s’est tenu le 1er congrès mondial du soufisme réunissant les représentants d’une quarantaine de pays afin d’élaborer une stratégie pour se défendre contre l’islamisme radical. Cette réunion n’avait alors guère suscité l’intérêt des médias européens. La nouvelle était pourtant d’importance dans la mesure où, selon Jeune Afrique, le soufisme compte 300 millions d’adeptes sur 1,6 milliard de musulmans. Ce qui démontre, une fois de plus, que considérer l’islam comme un bloc monolithique relève de l’ineptie. Une ineptie largement partagée par les partis dits « populistes » qui ne font ainsi que conforter les éléments les plus toxiques de l’islamisme. Dans ce contexte, la présence des soufis est, pour reprendre l’expression du regretté Abdelwahab Meddeb (écrivain et animateur à France-Culture), « un antidote au fanatisme ».
Chercher l’esprit pour ne pas se faire étouffer par la lettre a toujours suscité la réprobation des hiérarchies confessionnelles et des Etats autoritaires qui craignent que cette fâcheuse quête aboutisse à la remise en cause de leurs pouvoirs respectifs (mais pas forcément respectables). Ainsi, au XXIe siècle, l’Eglise romaine considère toujours que les catholiques francs-maçons sont en état de péché grave et leur Mussolini, Hitler et Franco mais aussi Lénine et Staline les ont persécutés.
Soufis et francs-maçons ont en partage cette histoire et l’initiation qui, sous des formes très diverses, n’est qu’une, depuis le premier matin de l’univers. Cette fraternité, il serait temps d’en prendre conscience. L’émir algérien Abdelkader et le penseur français devenu égyptien René Guénon, tous deux soufis, n’ont-ils pas reçu l’initiation maçonnique ?
Frères soufis qui avec nous vivez, vous n’êtes pas seuls.
Jean-Noël Cuénod