Une passionnante enquête de la revue Le Grand Continent décrit la restalinisation de la Russie qui se développe actuellement dans la Fédération de Poutine. L’un des dictateurs les plus sanguinaires de l’Histoire sort de son purgatoire. Le temps présent est à la réhabilitation des tyrans. Après le Petit Père des Peuples, le Führer refera-t-il fureur?
Eclairs de mémoire. Le Plouc voyage en reportage dans la Fédération de Russie au mois de mars 2004. Les élections présidentielles s’y déroulent. Remportées sans surprise par Vladimir Poutine qui va se débarrasser des derniers oripeaux d’un libéralisme très mal digéré par Eltsine. Il aura apporté aux Russes plus de pauvreté et de confusion que de développement économique et démocratique.
Staline et Nicolas II même combat
Deux détails vécus à ce moment-là par l’auteur de ces lignes lui mettent la puce rouge à l’oreille.
Rencontre à Saint-Pétersbourg avec une petite centaine de manifestants nationaux-bolchéviques qui brandissent les portraits côte-à-côte de Staline et du tsar Nicolas II. Question posée à l’un des manifestants: « Etes-vous conscients que vous mettez sur la même affiche, le tsar et l’un de ceux, avec Lénine, qui ont ordonné son assassinat ? »
Regard apitoyé du jeune Russe sur ce pauvre Suisse dont la simpliste cervelle reste incapable de comprendre les subtils oxymores de l’Histoire de son pays:
« Nous honorons la grandeur de la Russie. Les tsars l’ont créée au fil des siècles. Staline l’a amplifiée par sa victoire contre l’Allemagne hitlérienne. C’est ce qui importe.»
Second détail. De retour vers Moscou, en posant le pied sur le quai de la Gare de Léningrad (elle n’a pas changé de nom), les voyageurs sont accueillis par l’ancien hymne soviétique dont la mélodie venait d’être réhabilitée avec d’autres paroles.
Il s’agissait, là aussi, pour Poutine de rappeler l’une des pages glorieuses de la Russie éternelle, cet hymne ayant été composé sur ordre de Staline en 1944 pour marquer la victoire de l’URSS.
Un lent processus
L’actuelle réhabilitation de Iossif Vissarionovitch Djougachvili, plus connu sous le pseudonyme de Staline (l’homme d’acier en russe), relève donc d’un lent processus engagé depuis une vingtaine d’années.
Aujourd’hui, ce processus connaît une forte accélération au sein de la Fédération de Russie, due sans doute à la guerre contre l’Ukraine.
Le reportage du Grand Continent (1) détaille le programme de cette restalinisation initiée par le Parti communiste de la Fédération de Russie (KPRF) avec l’assentiment de Vladimir Poutine. Il ne saurait en aller autrement. Il faut dire que KPRF n’est plus le parti d’opposition qu’il était sous l’ère de Eltsine et au début du pouvoir de Poutine. Après le virage autoritaire amorcé en 2004, le KPRF s’est aligné sur la ligne nationaliste du nouveau Vojd dont il n’est plus qu’une courroie de transmission.
Refleurissent les moustaches en pierre de l’Homme d’Acier
Cette réhabilitation de Staline s’inscrit dans un programme à l’évidence bien établi. Les réseaux sociaux crépitent d’admiration pour le Petit Père des Peuples. Les monuments sont également mis à forte contribution: les moustaches en pierre de l’« Homme d’Acier » refleurissent sur les statues un peu partout en Russie.
Le Grand Continent en dresse la longue liste et rapporte ainsi l’initiative la plus spectaculaire:
Le dernier fait en date, et à ce jour le plus débattu, est sans doute l’inauguration, le 15 mai dernier, à la station Taganskaya du métro de Moscou, d’un bas-relief grandeur nature représentant Staline sur la place Rouge, entouré de citoyens soviétiques admiratifs et reconnaissants.
Les manuels scolaire restalinisés
Encore plus préoccupant, la revue constate que les manuels scolaires se stalinisent:
Pour réhabiliter l’œuvre de Staline, ceux-ci ne se contentent pas de légitimer la signature du pacte germano-soviétique; ils s’appliquent surtout à minorer et justifier les répressions.
Certes, ce n’est pas le Staline théoricien marxiste-léniniste qui est mis en avant mais le Vojd qui a conduit l’URSS à dominer quasiment la moitié du monde, au sortir de la Seconde Guerre mondiale.
Tout le reste est repoussé sous le tapis: les millions de morts au Goulag, la famine organisée en Ukraine (Holodomor) et ailleurs entre 1931 et 1934, l’instauration d’un régime totalitaire sanguinaire, les purges qui ont affaibli, notamment, l’armée soviétique au pire moment, les assassinats systématiques d’écrivains et d’artistes.
L’air du temps est bien pollué
Peu importe le prix du sang payé jadis par les peuples, pourvu que les dirigeants d’aujourd’hui touchent le salaire de la gloire.
La Russie n’est pas seule concernée par ce retour du Tyran Rouge. Cette réhabilitation s’inscrit en général dans l’air – pollué – du temps.
Au moment où la grande puissance de la démocratie, les Etats-Unis, sombre dans l’autoritarisme erratique de Donald Trump et où les pays européens affichent leur faiblesse géopolitique, les fantômes de la tyrannie reprennent chair.
Rendre acceptable l’inacceptable
Le parti allemand AfD en constitue l’exemple le plus inquiétant. Sa propagande parvient actuellement au stade de la relativisation des crimes nazis.
Le stade suivant sera « on ne fait d’omelette sans casser des œufs ». « L’Allemagne nazie a fait de grandes choses qui ne sauraient être occultées par les excès, certes regrettables, du régime ».
Stade final: le relatif devenant de plus en plus relatif, c’est l’inacceptable qui devient acceptable.
Jean-Noël Cuénod
1 Sur son site, « Le Grand Continent » se présente ainsi: « La revue est éditée par le Groupe d’études géopolitiques, un centre de recherche indépendant domicilié à l’École normale supérieure (de Paris) et reconnu d’intérêt général ».
La dérive autoritaire et extrême-droitière concerne la planète entière, de Moscou à Washington en passant par les capitales européennes, mais aussi de Delhi à Buenos Aires en passant par Tel-Aviv, Le Caire et une grande partie de l’Afrique sub-saharienne. Mais ce qu’il advient en Russie ne doit pas nous faire oublier qu’en termes de massacres de civils, et notamment d’enfants, même Staline est petit bras à côté de Netanyahu eût égard au nombre de victimes civiles à Gaza ramené à la population que comportait le ghetto en octobre 2023. Le problème est que tous les dirigeants actuels, ou presque, au mieux s’en foutent quand ils ne sont pas complices du carnage ! Il y a donc pire que la réhabilitation de Staline, c’est de ne pas voir l’intensité de la barbarie qui se développe sous nos yeux et dans notre indifférence… Poutine peut donc se dire qu’il a encore quelques longueurs de retard sur son concurrent hébreu.