Comment le salafisme infiltre les syndicats

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«La laïcité est trop souvent bafouée dans les entreprises en France». Un syndicaliste «musulman et républicain» fait part de son inquiétude. Et dénonce l’influence toujours plus forte des intégristes islamistes mais aussi évangélistes à la base des organismes de salariés.Pratiquer l’islam et militer en faveur des valeurs laïques de la République française n’a rien d’incompatible pour Mustafa. Toutefois, en affirmant publiquement cette double position, il prendrait de gros risques vis-à-vis des musulmans intégristes – souvent regroupés sous la dénomination de salafistes– dans un contexte intercommunautaire particulièrement tendu depuis la série d’attentats djihadistes qui ont visé la France. Aussi, Mustafa n’est-il pas le vrai prénom de ce responsable d’un grand syndicat (son identité est connue de la rédaction).

S’il souhaite ne pas être identifié, il tient toutefois à sonner l’alarme sur un fait peu et mal connu : l’infiltration des salafistes à la base des syndicats et les violations des principes de la laïcité au sein de certaines entreprises. «C’est la France de très en bas», poursuit-il, «la France qui se lève à 5 h. du matin pour le salaire minimum.»

La représentation du personnel et sa défense s’effectuent à plusieurs niveaux en France. D’une part, les salariés d’une entreprise élisent leurs représentants au sein de trois instances (Délégués du personnel, Comité d’Entreprise, Comité d’Hygiène, de sécurité et des conditions de travail) qui, dès le 1er janvier prochain, fusionneront au sein d’un seul Comité social et économique (CSE) créé par les ordonnances Macron. D’autre part, les syndicats désignent leurs représentants au sein des entreprises. Les premiers sont des élus, les seconds, des mandataires. Il est possible de cumuler les deux fonctions.

Effets de la concurrence entre syndicats

«Voilà ce que j’ai pu constater dans certaines boîtes d’Ile-de-France», explique Mustafa. «Des salariés fréquentant les mêmes mosquées d’inspiration salafiste et vivant dans les mêmes quartiers, parfois dans les mêmes rues et provenant souvent des mêmes pays d’origine se portent candidats aux élections professionnelles, parfois sur plusieurs listes différentes. Les uns seront candidats de tel syndicat, d’autres, de tel autre, etc. Lorsqu’ils font campagne, ils prennent bien soin de ne pas afficher leurs convictions intégristes. Souvent, ils profitent du manque d’engagement des autres salariés au sein de ces structures représentatives pour s’imposer comme de bons défenseurs de la cause du personnel. Une fois élus, certains de ces intégristes s’entendent pour quitter leur syndicat et rejoindre celui qu’ils jugeront le plus puissant. Leur poids au sein du Comité social et économique de l’entreprise et de leur nouveau syndicat en sera renforcé d’autant. »

Mustafa relève également la vivacité de la concurrence entre les nombreuses centrales syndicales (en France, on en dénombre au moins huit) pour expliquer leur bienveillance vis-à-vis de ces élus de base qui leur apportent des sièges:  «Non seulement, ils seront élus comme délégués du personnel, mais encore leur syndicat les désignera volontiers comme délégués au sein des entreprises. Ce sont de véritables petits sultans qui s’installent dans ces structures de représentation et de défense du personnel. Leur stratégie consiste à investir la base mais sans chercher à grimper dans la hiérarchie syndicale. Dès lors, ils ne gênent personne au sommet !»

A noter, que les intégristes évangélistes adoptent la même stratégie, en visant d’autres buts. Ils contribuent, eux aussi, à leur manière, à ce «communautarisme» bien contraire à la «République une et indivisible»

L’imam payé par son employeur

Cette présence importante des salafistes au sein de ces organismes n’est pas sans conséquence, loin de là, comme le précise Mustafa: «Tout d’abord, ils font tout pour discriminer systématiquement les femmes et même les dénigrer. Par exemple, un représentant des salariés, récemment, s’est attaqué à des responsables de la coordination au sein d’une boîte, uniquement parce qu’il s’agissait de femmes. Pourquoi la direction ne réserve-t-elle pas ces postes aux hommes ? Voilà ce qu’on peut entendre au sein d’un Comité d’entreprise, de la part d’un élu du…personnel! Tout est fait pour sortir les femmes du monde de l’entreprise afin qu’elles regagnent leur foyer ». En outre, les comités d’entreprise reçoivent de leurs employeurs une subvention représentant 0,2% de la masse salariale brute, somme qui se révèle fort importante selon la taille de l’entreprise. Cette manne patronale sert à financer les œuvres sociales de ces comités d’entreprise (lieux de vacances, bons cadeaux, événements divers). Les élus d’entreprises en sont les dispensateurs. Ce qui accroît leur prestige auprès de leurs collègues.

Mustafa ajoute que ces salafistes, forts de leur statut d’élus, répandent leur idéologie antisémite. Quant à la sécurité, cette présence salafiste pose de très sérieux problèmes. Notre interlocuteur cite un exemple parmi d’autres: «Un représentant du personnel d’une société de service n’a pas reçu l’autorisation de se rendre dans le périmètre d’un ministère, car il est repéré comme musulman intégriste par les services de renseignement. Sa boîte n’a pas pu le licencier car il est protégé par son statut d’élu représentant du personnel. Pour ne pas avoir d’histoire, son employeur a préféré lui verser son salaire sans obligation de se rendre au travail. Comme il est imam, il peut donc accomplir sa mission religieuse tout en étant salarié par son entreprise!».

Et la lutte contre le terrorisme ? «Je ne dis pas que ces salafistes d’entreprises sont tous des terroristes, bien sûr. Il n’empêche que dans un pareil contexte, un terroriste y évoluerait comme un poisson dans l’eau».

Un cadre supérieur d’une entreprise publique – qui tient lui aussi à ce que son nom ne soit pas publié – confirme en tous points les dires du syndicaliste. Il ajoute : «Une grande partie des intégristes sont liés au gangstérisme et aux réseaux mafieux. Il y a osmose entre intégrisme et gangstérisme.» Ce cadre met en cause les scissions fréquentes au sein du monde syndical : «Cette fragmentation fragilise les organisations qui deviennent ainsi des cibles plus aisées à atteindre pour les intégristes.»

Contre le salafisme en entreprise «Promouvoir les femmes» 

Comment lutter contre ce fléau? Réponse de notre interlocuteur syndicaliste et musulman: «Le plus urgent est de promouvoir les femmes dans les organismes de représentation du personnel et les instances syndicales. La laïcité ne doit pas s’arrêter aux portes des entreprises, charge à elles de disposer d’une charte à cet effet comme il s’en trouve dans les écoles publiques. Et enfin, il faudrait que les employeurs cessent de se montrer laxistes vis-à-vis des violations de la laïcité et que les plus hauts responsables des syndicats prennent enfin la mesure de l’infiltration des réseaux salafistes à leur base. Pour moi, être musulman dans son cœur, c’est respecter pleinement la liberté de conscience. »

Jean-Noël Cuénod

Article paru mercredi 29 novembre 2017 dans la « Tribune de Genève » et « 24 Heures » 

2 réflexions sur « Comment le salafisme infiltre les syndicats »

    • Conclusion trop rapide, équivaut à « nous sommes au bord du gouffre, nous allons faire un pas en avant » dixit le grand Charles !!!
      Passer d’un communautarisme à un autre n’est pas une solution. Réfléchir sur la limite entre intégrisme et société, trouver l’espace nécessaire pour que toutes spiritualités puissent être pratiquées sans jamais mettre en péril la république est la réponse. Celle-ci impose du travail, une sérénité et du courage. Donc au boulot et pas de raccourci.

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