Les combats d’arrière-garde sont toujours les plus sanglants. Les troupes qui se sentent menacées de disparition mettent toute la puissance du désespoir dans leurs affrontements. Ce qui les rendent très efficaces à court-terme. Le désespoir peut alors changer de camp et les forces du progrès social s’épuisent à force de se cogner contre les murailles qu’elles voulaient prendre d’assaut.
Et puis, un très beau jour, les murailles s’effondrent au moment où elles paraissaient inexpugnables. Rongées, minées de l’intérieur. Les arrière-gardes ne sont plus au garde-à-vous; elles comptent leurs cadavres désormais inutiles laissés sur des champs de bataille voués à l’oubli.
Il en va ainsi de tous les pouvoirs. Il en ira de même pour le patriarcat. Mais celui-ci, matrice de tous les systèmes de domination, vient du fond des âges ce qui lui confère une assise exceptionnelle dans le cours de l’Histoire. Il va résister encore longtemps aux forces d’émancipation des femmes. Et des hommes car le patriarcat les enferme eux aussi dans ses carcans sociaux.
L’internationale machiste
Synchronicité ou simple coïncidence? Au-delà de toutes les dissemblances évidentes, un lien souterrain se tend entre la victoire de Trump (1) après une campagne ouvertement antiféministe, l’intensité accrue de la répression misogyne en Iran, la folie des talibans afghans qui interdisent aux femmes de parler dans la rue et la progression des violences sexistes partout dans le monde.
Le patriarcat a trouvé son expression politique: le national-conservatisme qui s’impose tous azimuts sous de multiples aspects parfois contradictoires. Entre le national-conservatisme de Trump-Vance et celui des islamistes ou d’autres entités, les différences paraissent nombreuses en surface.
Mais le fond du discours n’est pas si différent qu’il paraît l’être. Dans tous les cas de figure, il s’agit de conserver à l’homme toutes ses prérogatives et d’endiguer ce qui est perçu comme une « marée féministe » qui bouscule tous les repères.
L’époque des retours de bâton
Depuis la Seconde Guerre mondiale, les femmes ont conquis progressivement un grand nombre de citadelles alors réservées aux hommes. Même les « binaires » ont droit de cité, comme le démontre la victoire de Nemo au dernier concours de l’Eurovision. C’est dire!
Devant ces assauts victorieux, l’angoisse machiste a provoqué ce retour de bâton que l’on observe partout, peu ou prou.
Celles et ceux qui combattent le patriarcat passent aujourd’hui un sale moment. Déprimant moralement dans les Etats démocratiques et physiquement dangereux au sein des autocraties.
Ne pas céder à la tentation de l’abattement
Que faire, comme le dirait Lénine et avant lui Tchernychevski? Tout d’abord, ne pas céder à la tentation de l’abattement suscitée par les réseaux sociaux que manipule parfois leur propre créateur (voir Elon Musk) masculiniste. C’est le sentiment que cherchent à provoquer les forces du patriarcat. Il faut plutôt se dire, face à l’adversité. que tout est impermanence en ce bas monde, les mauvais moments comme les bons.
Et surtout continuer à dénoncer là où nous sommes toutes les ségrégations sexistes, racistes et sociales, les atteintes à la liberté des individus, à promouvoir la raison sur les émotions artificiellement gonflées.
C’est aussi se battre pour défendre le véritable journalisme, seul rempart médiatique à la désinformation des réseaux sociaux. Il y a de grosses miches de pain sur une planche étroite, certes. Mais ça vaut le coup de se battre! Il en ressort toujours quelque chose, contrairement à la passivité maussade qui suinte l’ennui.
L’aspiration à l’émancipation
Certes, ces dénonciations auront leur lot d’outrances – sans doute est-ce inévitable – que ne manqueront pas d’utiliser l’adversaire. Mais elle ne sauraient entamer le fond du propos antipatriarcal: l’aspiration à l’émancipation, c’est-à-dire à la libération totale de l’être humain – femme et homme – de tout ce qui l’empêche de réaliser les potentialités qu’il porte en lui.
Le national-conservatisme – qu’il soit d’expression démocratique, autocratique ou théocratique – veut figer la vie. Il oublie que, par nature, elle ne peut pas l’être. Une vie figée, cela s’appelle la mort. Cette idéologie mortifère ne durera donc que l’espace d’un cauchemar qui sera, un jour ou l’autre, balayé par le grand vent de l’Histoire.
Jean-Noël Cuénod
1 Ne pas oublier James David Vance (40 ans), le nouveau vice-président encore plus réac que Trump mais en moins comique.
Impermanence, espoir, juste combat pour la liberté.
Merci de nous rappeler ces mots réconfortants, apaisants, stimulants.
Une petite phrase me revient à l’esprit :
« Un seul oiseau en cage et la liberté est en deuil ! »
Belle journée à tous !
« Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fît »
loin de tomber en décrépitude, comme toutes les théodicées, par le progrès de l’esprit humain, n’a fait que grandir de siècle en siècle, et se dégage avec une irrésistible énergie des décombres de la métaphysique religieuse. — Auguste Blanqui
C’est toujours vrai !
JiMi
Merci pour ces bons mots pleins d’espoir, Jean-Noël. Un remède à l’apparent clivage de nos sociétés dominées par des peurs irrationnelles. Le patriarcat meurt car il n’occupe plus que le devant de la scène. En arrière les figurant(e)s en nombre sortent de l’ombre et bâtissent d’autres manières de faire du lien, d’accueillir et de laisser grandir leurs fils et leurs filles, dans l’amour et hors de la violence. Car quand il y a violence, il ne peut y avoir d’amour.Ce changement est en cours.